Gilbert BoyerLa petite mort, VOX, Montréal, 2008.
Photo : Michel Brunelle
[In French]
La galerie VOX présentait du 5 avril au 15 mai 2008 Espace mobile, une exposition collective conçue autour de la naissance du quartier des ­spectacles au centre-ville de Montréal. Renaud Auguste-Dormeuil, Gilbert Boyer, Christoph Fink, James Partaik, Jocelyn Robert, le ­collectif SYN- et Felicity Taylor se partageaient l’espace de la galerie le temps d’une réflexion sur les changements apportés au quartier. Ces ­artistes ­interrogeaient sa transformation et transmettaient chacun leur ­perception sur cette partie de la ville. 

VOX constituait le point de départ des artistes et le centre de leurs explorations. Sa position géographique (au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent) en fait un axe important de la culture montréalaise où la pluralité linguistique, les groupes culturels et sociaux se côtoient. Les transformations qui s’effectuent dans cet environnement changeront les couleurs du quartier qui, bien que depuis longtemps espace de diffusion culturel (salles de spectacles et festivals), baigne dans des difficultés sociales. 

Les commissaires Patrice Loubier et Marie-Josée Jean ont permis la mise en place d’une réflexion sur les transformations d’un lieu que l’on habite, traverse ou observe, tout en mettant en perspective différents points de vue sur un même espace. Trois des projets présentés illustraient de façon singulière cette problématique. Si les déambulations de Fink s’inscrivaient dans une volonté de cerner, de comprendre et d’arpenter les lieux, celles de Boyer captaient des instants d’une ville en mouvement, œuvre qui suscitait un contact avec les spectateurs. SYN-, de son côté, allait sur le terrain non pas pour flairer les lieux, mais pour découvrir les gens qui y habitent. 

SYN-
Hypothèses d’insertion IV, VOX, Montréal, 2008.
Photo : Michel Brunelle

L’artiste belge Christoph Fink a cartographié son séjour ­montréalais, depuis son arrivée en avion jusqu’à ses déambulations urbaines ­quotidiennes. Comme Hamish Fulton l’a fait dans les années 1970 en ­traversant plusieurs pays à la marche, laissant de son expérience des ­photos et des écrits, Fink a répertorié ses promenades. Il en a fait des ­tracés, données qui, bien que présentées de façon systématique, créaient une impression générale de la ville, formaient des empreintes de son ­passage. Sur la vitrine de la galerie, sur le mur ou sur un disque de ­céramique, il a dessiné des lignes qui présentaient son parcours et a inscrit les espaces qu’il a traversés, les noms de rues et les distances parcourues. Dates et heures à l’appui, il a fait de ses trajets des dessins linéaires et incertains qui avaient pour ancrage la galerie mais sans aucune limite ­spatiale : il a parcouru la ville d’est en ouest, du nord au sud, escaladé le Mont-Royal et traversé des ponts. Le disque de céramique sur lequel il a inscrit un de ses parcours, avec en son centre le lieu de l’exposition, ­formait une ­réverbération dont les échos étaient les alentours en ­mouvance. L’artiste a transformé, par son travail rigoureux, les rues, les trajets, voire les paysages en des données, puis en tracés abstraits. 

Pour sa part, Gilbert Boyer a figé des images en mouvement et a créé des clichés qui constituaient un survol flou mais pourtant compréhensible du quartier. Il a tiré des images à partir d’une vidéo réalisée au hasard dans les rues de la ville : des immeubles, des affiches, des ruelles prises en gros plan ou en plan d’ensemble qu’il a accrochées sur un mur de la galerie. Ces images se présentaient comme un immense casse-tête des promenades spontanées et imprévues faites par l’artiste, pour en constituer une trame urbaine composée d’impressions et de tranches disparates d’un paysage. Pour produire une fresque en mouvance, Boyer a inscrit son parcours de façon aléatoire, sans suivre un tracé linéaire. Les gens pouvaient acheter une image, qui était ensuite remplacée par une autre sur la toile qu’il avait tissée de façon à faire évoluer l’œuvre et à la rendre participative. 

Gilbert Boyer
La petite mort, VOX, Montréal, 2008.
Photo : Michel Brunelle

Le collectif SYN- présentait en galerie une documentation, articles et vidéos, sur les transformations quotidiennes apportées au quartier des spectacles. À cela s’ajoutaient des interventions extérieures : le trio ­invitait les gens à jouer au billard avec eux sur une table qu’il déplaçait dans les alentours de la galerie. La rencontre se produisait, inévitablement, entre des résidents du quartier, des passants et les artistes. Le dialogue s’installait. La notion d’identité tout comme celle du patrimoine étaient réfléchies à travers leurs rencontres et leurs expériences sur le terrain. Les artistes se demandaient quels seraient les impacts des transformations sur le quotidien des habitants du quartier. Comment la revitalisation influera-t-elle sur la vie sociale et individuelle ? Le territoire était exploré ici comme un espace partagé ; lieu tantôt actif où les transformations s’effectuent, puis passif où des gens vivent au quotidien. Dans le cadre de ce projet, SYN- jugeait essentiel de préserver la diversité du quartier et saisissait cette occasion pour y réfléchir, captant ainsi l’essence d’un lieu en transformation en s’attardant aux répercussions humaines plutôt qu’architecturales. 

Montréal était au centre des réflexions qu’attisent ses changements architecturaux, et les perceptions divergeaient : la ville comme espace de déambulation, comme lieu de passage, comme marqueur d’identité ; la ville tel un espace connu, habité ou étranger, à explorer. Avec Espace mobile, les impressions qu’ont transmis les artistes sur l’environnement de la galerie tissaient des questionnements sur le plan esthétique et social ainsi qu’une réflexion sur l’espace habité et sur les différents points de vue d’un même lieu. Avec une approche définie, voire exacte ou plus sentie, se laissant guider par leurs intuitions, ou encore dans une optique de responsabilité sociale, les artistes furent perméables à la ville et à ses transformations. Une nouvelle façon de voir, une autre problématique bousculaient notre perception de la métropole, nous proposant une autre façon de ­comprendre cet espace. 

Catherine Barnabé, Gilbert Boyer, SYN-
This article also appears in the issue 64 - Waste
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