Sepsis 

Christian Saint-Pierre
Théâtre Péril, Théâtre La Chapelle, Montréal,
du 17 au 21 janvier 2012
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[In French]

Après C.H.S. (2007), Anky ou La fuite (2008) et Trans(e) (2010), Christian Lapointe dévoilait en janvier dernier le chapitre final de son Cycle de la disparition, un nouvel objet de fascination intitulé Sepsis. Précisons tout de suite que la tétralogie, que l’on pourrait décrire comme une suite de méditations existentielles multimédias, emprunte certains de ses codes aux arts visuels, à la performance et à l’installation, et qu’elle n’est pas sans évoquer certaines des réalisations de Denis Marleau ou Romeo Castellucci. Il s’agit en somme d’une démarche hautement atypique dans le paysage théâtral québécois. 

Quand le jeune auteur et metteur en scène, directeur du Théâtre Péril, règle ses comptes avec la mort, autrement dit avec la condition humaine, il le fait de manière singulière et inventive, en se jouant des conventions théâtrales aussi bien que des perceptions du spectateur, en s’aventurant sur le territoire de l’inconscient et de l’intangible, en misant sur l’abstraction des mots et des images, sur la force de frappe de ce qui est invisible, inexplicable, tapi dans l’ombre. Les individus qui peuplent les tableaux qu’il imagine sont tourmentés, menacés, calcinés, possédés ou déchirés, prisonniers du temps et de l’espace, suspendus entre ciel et terre, maintenus entre la vie et la mort, écartelés entre le masculin et le féminin, la chair et l’esprit.

Dans Sepsis, le plus ambitieux des quatre volets du cycle, par le nombre de comédiens (Sylvio Arriola, Israël Gamache, Rachel Graton, Joanie Lehoux, Jocelyn Pelletier, Éric Robidoux) aussi bien que par l’am-pleur du dispositif scénique, corps et identités sont plus que jamais « en décomposition », fragmentaires et polyphoniques. Rappelons qu’en grec, sepsis signifie « putréfaction » et qu’en français, une sepsie est une infec-tion causée par un micro-organisme pathogène. L’inventive scénographie de Jean-François Labbé représente une morgue, un lieu de transit entre le dernier souffle et la demeure éternelle. Pour procurer au spectateur le sentiment d’être lui aussi en suspens, afin de brouiller sa manière tra-ditionnelle de concevoir le réel et de décoder la représentation, le lieu nous est donné à voir depuis le plafond, à vol d’oiseau.

Dans le clignotement des néons et le rugissement des mécanismes, les cadavres partiellement ensachés glissent à tour de rôle hors des tiroirs frigorifiques. Leurs énigmatiques monologues, tissés de confessions et de réminiscences, sont livrés sans une once de psychologisme, c’est-à-dire sur le ton propre au non-jeu préconisé par Lapointe. Puis, les interprètes retournent sous la scène pour former un grand choeur de voix et de visages, un troublant sextuor qui nous est retransmis grâce à des projections vidéo syncopées, elles-mêmes appuyées par une musique tonitruante. Les mots de la première partie du spectacle sont alors répétés, mais surtout livrés dans un nouvel ordre, selon une partition qui, sans dissiper tout le mys-tère, loin de là, multiplie les échos, éclaire les destins. 

Christian Lapointe, Christian Saint-Pierre
This article also appears in the issue 75 - Living Things
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