Nul si découvert 

Nathalie Desmet
Le Plateau / FRAC Ile-de-France, Paris,
Du 9 juin au 7 août 2011
Anna Maria Maiolino, Entrevidas (Entre deux vies) (détail), série Fotopoemaçao, 1981.
photo : permission du Plateau / Frac Ile-de-France, Paris
[In French]

Nul si découvert est le dernier volet du programme d’expositions de Guillaume Desanges au Plateau. Depuis 2009, il y poursuit son projet d’« éru-dition concrète ». L’exposition explore la question des limites cognitives et des expériences impossibles – bien que concevables – en se plaçant sous le patronage de Duchamp et des notions de retard et d’inframince. 

S’il est question de thèmes à la mode comme l’ineffable, le non visible ou le silencieux, Desanges évite de tomber dans le piège d’une trop grande litté-ralité. Nul si découvert investit d’abord le domaine de l’art dans sa dimension inconfortable, le sentiment de frustration ou de panique qui s’instaure lorsque quelque chose devient insaisissable. En guise de métaphore, l’ex-position s’ouvre sur un extrait du film La Collectionneuse d’Éric Rohmer qui présente Alain Jouffroy discutant avec Daniel Pommereulle d’un Objet hors saisie (1965). L’objet dont il est ici question est une boîte de peinture sur laquelle ont été greffées 39 lames de rasoirs, ce qui rend la boîte difficile-ment ou dangereusement préhensible. En face se trouve une photographie de l’ouverture de la boîte de merde de Piero Manzoni par Bernard Bazile, performance réalisée pour mettre fin aux spéculations sur son contenu réel ou supposé. Que faire de ces oeuvres qui ne sont intéressantes que parce qu’elles contiennent de l’inaccessible ?

La dimension spéculative est abordée dans une série d’oeuvres por-tant sur l’absence ou l’invisibilité, parfois représentées par des figures historiques de l’art conceptuel comme Ian Wilson, Lawrence Weiner ou Chris Burden. Le propos veut montrer que la frustration liée à l’inatteignable est minimisée par le plaisir qu’il y a à imaginer ce qui se cache derrière les oeuvres. Ante-memorial d’Éric Baudelaire présente une correspondance avec les autorités britanniques au sujet de l’existence réelle ou fantasmée d’une série de lettres placées sous haute sécurité, qui contiendraient des instructions au cas où une attaque nucléaire serait menée contre la Grande-Bretagne. Plusieurs oeuvres de Ryan Gander jouent sur un contenu absent, comme l’une de ses Alchemy Box, hermétiquement scellée, mais dont une liste révèle le contenu. Faut-il dévoiler le secret ?

Une relecture de l’Esthétique du Silence de Susan Sontag, qui met en avant les formes réductionnistes de l’art comme seuls lieux de son efficacité, est un autre aspect de l’exposition. Anna Maria Maiolino, active au Brésil à partir des années 1970 et membre du mouvement anthropophagique, est choisie pour évoquer cet art qui se dérobe dans sa dimension politique. La photographie de la performance Entrevidas (Entre deux vies) de 1981, méta-phore sur l’entre-deux de la vie et de la mort, présente l’artiste parcourant une rue minée d’oeufs qui risque à tout moment le faux pas.

L’objectif de cette « érudition concrète » était d’établir de nouvelles manières de penser. Certains croiront qu’il s’agit d’une démarche vel-léitaire, mais Desanges souligne avec succès la nécessité d’inscrire l’art contemporain dans un véritable champ épistémologique. 

Nathalie Desmet
This article also appears in the issue 73 - Art as transaction
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