Marie-Claude Bouthillier
Dans le ventre de la baleine

Anne-Marie St-Jean Aubre
Optica, Montréal
du 6 novembre au 11 décembre 2010
Marie-Claude Bouthillier Dans le ventre de la baleine, Optica, Montréal, 2010.
Photo : Bettina Hoffmann, permission de l'artiste
Optica, Montréal
du 6 novembre au 11 décembre 2010
[In French]

Depuis de nombreuses années, Marie-Claude Bouthillier se penche sur les caractéristiques qui font l’artiste : la signature (mcb, 2000), la figure de l’artiste construite par les textes de fiction (Créatures, 2004 ; Réponse à Zola, 2006), les stéréotypes et les mythes qui alimentent notre perception de l’artiste (Vie d’artiste, débuté en 2007). Avec Dans le ventre de la baleine, c’est vers l’espace clos de l’atelier qu’elle tourne son regard.

Créée expressément pour la petite salle de la galerie Optica, l’œuvre se laisse appréhender en solitaire ou en petit groupe. Après avoir traversé un lourd rideau de velours noir étouffant les sons, on pénètre dans un espace sombre où ne se trouve accroché que le portrait d’une vierge sans visage, éclairé d’un faible faisceau lumineux. Le ton est donné ; le recueillement est de mise. Puis, le seuil de la deuxième pièce franchi, on se sent tout de suite ailleurs. Au moyen de planches de bois naturel fraîchement taillées dont l’odeur persiste, le plafond de la salle a été abaissé et le plancher, surélevé. Un semblant de lit où trône une boule de fil écru ­surdimensionnée et deux toiles pliées déposées au sol font office de mobilier. Les murs sont tapissés de toile quadrillée ou lignée, imprégnée d’acrylique noire teignant les fibres du canevas non traité. Un puits de lumière simulé procure un éclairage tamisé à l’ensemble. Si certains pans de mur sont recouverts simplement, d’autres se composent de la superposition de plusieurs fragments d’étoffes démultipliant, même dans l’accrochage, le motif de la grille. Quelques images tracées évoquent tantôt l’univers de la divination, tantôt des vues d’atelier qui reprennent l’organisation du réduit dans lequel on se tient. C’est là que se trouve la clé de cette ­installation picturale où se succèdent les enchâssements. Le passage menant de l’incarnation de l’atelier à sa représentation sur les murs, recouverts, tant physiquement que dans leur évocation, d’un carrelage produit par la superposition de parcelles de grilles reprenant la trame du tissu qui les supporte, marque autant d’étapes qui rythment l’avancée progressive au cœur de l’univers pictural. Par le regard, on s’enfonce vers les fibres même de la peinture, dans un mouvement analogue à cet autre cheminement que l’espace solitaire de l’atelier favorise, celui qui nous mène à scruter les replis de notre être intime. La présence de la pelote surdimensionnée vient souligner les ­changements d’échelle orchestrés par Bouthillier, qui nous encourage à oublier l’espace où on se trouve, une galerie, une œuvre, un corps. Métaphore du processus de création, le ventre de la baleine évoque la « chambre à soi », mais aussi le creuset, ce récipient dans lequel la matière est chauffée afin d’être purifiée. Presque imperceptible, le tic-tac d’une horloge nous rappelle au moment présent, et c’est en sens inverse que l’on reprend la traversée pour émerger dans la lumière.

Anne-Marie St-Jean Aubre, Marie-Claude Bouthillier
This article also appears in the issue 71 - Inventories
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