Christian Marclay, The Clock

Jennifer Alleyn
Paula Cooper Gallery, New York,
Du 21 janvier au 19 février 2011
MYJ_1110_ 004
[In French]

L’artiste américain Christian Marclay a passé trois ans à colliger, découper, regrouper, classer des milliers d’extraits de films dans lesquels le temps, représenté par une horloge, une montre, un cadran, marquait l’heure. Accollant bout à bout les fragments, avec l’obsession de respecter le déroulement d’une journée entière, il compose une horloge de celluloïd aussi précise qu’une montre suisse. En résulte un film de 24 h qui, projeté en temps réel, synchronise pour la première fois dans l’histoire du cinéma le temps diégétique à l’heure locale. L’illusion du temps fictionnel identique à celui du spectateur fascine et dérange, car vautré dans les sofas de la galerie, l’on se surprend à se demander l’heure qu’il est. L’esprit refuse de croire que parce qu’à l’écran, l’horloge marque 16 h, il puisse être 16 h au moment présent. Notre cerveau distancie naturellement ce temps fictionnel de celui du réel. C’est dans ce jeu avec le spectateur que l’oeuvre puise sa force troublante. 

Quelle échappatoire reste-t-il si l’espace fictif est traqué, réglé sur les aiguilles de notre vie ? Où peut-on se réfugier quand l’écran, réceptacle de l’imaginaire, rappelle l’incessante course vers notre finitude et révoque toute fuite poétique ? Le temps n’est plus scellé comme chez Tarkovski, mais pétri, hachuré, vidé. Le récit dépourvu de linéarité, par la juxtaposi-tion de scènes sans autre lien entre elles que l’heure qui avance, ne laisse jamais s’interrompre le défilement du temps. Cette avancée sous-jacente confère au projet de Marclay une dimension presque oppressante. Scènes interrompues, répliques sans suite justifiées par la nécessité d’insérer là le plan qui coïncide avec l’heure : le montage traduit – peut-être sans le vou-loir – la contemporanéité de notre rapport au temps. Une fragmentation démentielle de l’existence, qui tend à masquer la fatale issue du Temps.

Pour ajouter au paradoxe, le collage mixe les époques et les styles. Films de cape et d’épée, séries B, films étrangers, comédies, drames : tout y passe, comme les supports (16 mm, 35 mm, HD) qui se suivent sans souci d’homogénéité. Des scènes d’action extrême, des plans contemplatifs décuplent notre perception. Sans chercher de fil conducteur, Marclay crée une sorte de long cadavre exquis surréaliste ayant pour unique contrainte de respecter les secondes qui défilent. Une dimension méditative et philo-sophique émane de l’oeuvre. Ces vies anonymes trop brièvement croisées pour être décodées forcent la réflexion. Ces visages oubliés, dépourvus de leurs intentions, ranimés par la pellicule, composent un portrait d’une humanité ayant pour seule obsession la fuite du temps. Dans cet étrange hommage à la pérennité, le cinéma n’est-il pas l’art de la nostalgie ? La futilité de l’existence apparaît ici comme la seule certitude possible.

Après Venise, Yokohama et Los Angeles, The Clock atterrira en 2011 au Musée des beaux-arts du Canada qui en a fait l’acquisition conjointement avec le MFA de Boston. 

Christian Marclay, Jennifer Alleyn
This article also appears in the issue 73 - Art as transaction
Discover

Suggested Reading