FONCTION/FICTION. L’image utilitaire ­reconfigurée

Katrie Chagnon
Vincent Bonin et France Choinière (dir.), Montréal, Dazibao (les essais), 2008, 110 p.

Avec le projet FONCTION/FICTION, le centre Dazibao poursuit sa réflexion sur la notion du « photographique » et sur les paramètres qui définissent sa réalité contemporaine. La thématique abordée dans cette publication, et dans l’exposition à laquelle elle fait suite, est celle de la double nature fonctionnelle et fictionnelle des images qui médiatisent notre rapport au monde. « Qu’il soit question de photographie ou de ses diverses extensions technologiques, FONCTION/FICTION expose cette inquiétante approche du réel, où tout ce qui est donné à voir est d’abord traité, filtré par un système de données. » (p. 11) 

D’entrée de jeu, la problématique est circonscrite par des pratiques artistiques dont les matériaux ou les procédés proviennent de ces systèmes. Il est question d’appropriation et de détournement d’images à vocation utilitaire (surveillance, identification ou documentation scientifique), au moyen desquelles les artistes créent de nouvelles formes de récits. L’exposition présentait des œuvres de Rod Dickinson, Michael Klier, Manu Luksch, Pavel Pavlov et David Tomas, où s’opère, grâce à diverses stratégies, ce glissement de l’image fonctionnelle vers la fiction. Ces explorations ouvrent un questionnement spécifique sur le statut de l’image et laissent entrevoir la possibilité de fonder une nouvelle « histoire du regard ». 

La première chose que l’on constate à la lecture des cinq essais regroupés ici est l’intérêt des auteurs pour la question du médium. On aurait pu s’attendre à ce que la discussion tourne davantage autour des enjeux politiques, sociaux et psychologiques mobilisés par de telles recherches, dans la mesure où celles-ci renvoient à un phénomène structuré par des mécanismes de contrôle et des structures de pouvoir. Or, le propos se concentre plutôt sur la manière dont le rapport fonction/fiction affecte les dispositifs photographique et cinématographique eux-mêmes, d’un point de vue historique et pragmatique. 

Une même prémisse sous-tend les deux premiers textes : la photographie est aux prises avec une tension intrinsèque, tiraillée entre sa fonction indicielle et ses prétentions esthétiques. Examinant le rôle de ce conflit dans la constitution de la photographie comme forme d’expression, les auteurs Blake Stimson et Clint Burnham mettent en lumière la mélancolie ou l’« angoisse ontologique » qu’il suscite à travers quelques-unes de ses manifestations contemporaines. Ces réflexions sont suivies par trois essais sur le cinéma ; deux études de cas (sur Michael Haneke et Chris Marker), brillamment menées par Thomas Levin et Viva Paci, et une proposition théorique originale de l’auteur et artiste Charles Stankievech. Dans ce dernier cas, le fonctionnement lacunaire et soustractif du dispositif cinématographique se voit lui-même transformé en fiction, à travers le projet impossible d’un « cinéma de l’aperception ». Il en ressort un trouble évident, dû en partie à la logique de pré-médiatisation au sein de laquelle la photographie doit aujourd’hui négocier son existence.

Katrie Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 66 - Disparition
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