[In French]

1- J’œuvre en art action.
2- Ma pratique se constitue d’éléments provenant tantôt des arts visuels, tantôt du théâtre.

D’une part, ma pratique se sert principalement de l’art action et de l’installation. La notion d’in situ reste constante à toutes mes interventions : corps et objet sont en interaction avec le lieu spécifique où se déroule l’action. Mes actions se constituent par l’accumulation des sémiotiques de ces éléments mis en relation. C’est dans une voie similaire à celle du danseur Min Tanaka (1998) que ma recherche se réalise. Tanaka dit : « Je danse pas dans l’espace, je danse l’espace. Je n’agis pas dans l’espace moi non plus ; je me mets en action. »

D’autre part, le concept de performance qui influence ma recherche en art action provient du théâtre. C’est Jerrzy Grotwsi (1968) qui parle d’un performeur dont le double qui se présente en action est une image physique et psychique qui permet de confronter le mythe plutôt que de s’identifier à lui. Grotowski affirme : « Tout en gardant nos expériences privées, nous pouvons essayer d’incarner le mythe, en tentant de percevoir la relativité de nos problèmes, leurs relations avec les racines et la relativité de nos racines à la lumière de l’expérience d’aujourd’hui. Si cela est fait brutalement, si nous nous dépouillons et parvenons aux couches les plus intimes en l’exposant, le masque de la vie craque et tombe. » (p.22)

C’est grâce à un dépouillement violent du mythe accompli par le double performé qui l’incarne que ce dernier, étant mis à nu, devient annihilé et le monde peut se voir dans sa dimension non-masquée, réelle. Ce double du sujet devient son objet permettant au sujet de se déployer alors que le mythe disparaît : l’artifice cesse d’accomplir sa fonction de passage et c’est alors que le sujet peut retrouver son identité. Je ramène ici la phrase qui fait partie intégrante de mes actions et qui insiste sur le geste de soulever et de voir à l’intérieur.

Cette expérience est un rite pour enlever les couches du stéréotype social. Ainsi, lorsqu’il est présenté en espace public, le geste peut être reconnu, car il fait allusion aux expériences qui ne sont rien d’autre que des adaptations des mythes culturels. Je construis des personnages types qui se retrouvent dans des situations quotidiennes évoquant le bien-être intime. Ces actions, étant accomplies dans des espaces publics, et parfois en collectif, se transforment en de l’insolence situationnelle1 1 - Erving Goffman (1959). : sur la place publique, on dévoile l’intime tout en conservant, paradoxalement, une distance. Cette distance est présente afin de donner la possibilité à divers types de regards de se construire en rapport avec l’image proposée.

D’après Grotowski, la présence corporelle a comme fonction de servir de canal par lequel l’expérience traverse. Les témoins de cette expérience entrent dans « des états intenses car ils ont ressenti une présence ». Le performeur devient un « pontifex, celui qui fait des ponts », entre les témoins et ce quelque chose.

Tout ce processus de passage et de transformation peut s’appliquer à ma pratique et avoir des liens avec un travail de maquillage qui fonctionnerait comme une fausse peau, laquelle, après avoir été montrée à autrui et reconnue par celui-ci, est enlevée et découvre la peau réelle. De manière ironique, j’accorde à ce processus le nom d’une ligne de cosmétiques : True IIlusion2 2 - Cosmétique Maybelline : une innovation beauté révolutionnaire, un jeu dans le réel et dans le symbolique qui s’accomplit de manière aussi consciente qu’inconsciente.

3- Ma pratique en art action a commencé il y a huit ans en Colombie mon pays d’origine. J’ai vécu le déplacement géographique, économique, social et psychique. La perte d’espace, conséquence de la néocolonisation, l’invasion, la destruction et la guerre, sont des phénomènes qui ont marqué ma vie et ma pratique artistique. Déterritorialisée, je commence à faire de l’art pour me reterritorialiser symboliquement par l’éphémère. Je fais de mon corps en performance un territoire récupéré et de l’espace où je fais les interventions un lieu qui évoque le manque de la terre perdue. Face à la violence de mes circonstances de vie, j’opte pour le détournement de l’hostilité décrit par Konrad Lorenz : comportement assumé pour exprimer, souvent par le rite, une défense symbolique face à l’agression. L’humain, capable d’utiliser non seulement le comportement mais aussi l’attitude dans son agir, peut réagir aux impossibilités d’une affirmation ontologique. Mon affirmation se sert de l’art comme prise de parole par le geste, comme réappropriation de l’espace et du temps à habiter.

Le traitement du corps dans mes actions fait de celui-ci un outil vivant dont la proximité avec l’extérieur œuvre de manière à explorer les fonctions de critique et de résistance à travers l’action corporelle. Mon action devient simultanément ma voix poétique et politique. Elle exprime le seul bien qui reste en mon pouvoir : l’attitude intérieure. 

J’observe les fissures qui existent entre mon corps et mon identité ; un autoportrait en mouvement s’élabore. Dans le cas de ma pratique, une quête existentielle est intégrée dans l’expérience en espace public. Des déplacements constants entre l’intime et le social prennent place et produisent des alliances entre secret et solidarité, entre la perception de soi et la communauté et le contexte où j’habite.

5- À mon avis, il a deux facteurs qui différencient le spectacle et le type d’action auquel je m’intéresse. Le premier facteur réside dans le type de processus qui s’effectue dans le spectacle et dans l’art action. La majeure partie du processus de l’action, dans mon cas, se réalise au moment même de la réalisation de la performance d’art. Dans le théâtre, le processus commence avant même la représentation de celui -ci. On assiste à une dialectique entre processus et permanence qui déclenche parfois des conflits, parfois des conjonctures entre présentation et représentation.

L’autre facteur de différenciation est très bien défini par Guy Debord (1958) : « Le spectacle est une consommation culturelle ». Ma pratique artistique est surtout une prise de position contre le phénomène de déshumanisation menée par la consommation de masse qui remplace la démocratie et la culture par la bureaucratie et la technocratie. Je cherche à faire du lieu où je performe un espace utopique de questionnement interpersonnel où les relations humaines ne se basent pas sur le rapport économique, mais sur le rapport esthétique et politique.

Constanza Camelo, Constanza Camelo
This article also appears in the issue 40 - Performance
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