Ceux qui ont eu la chance de voir Prologue et Épilogue de Donigan Cumming lors de leur présentation à la Galerie Éric Devlin dans le cadre du Mois de la photo 2005 en gardent assurément un souvenir tenace. Je ne sais pas si c’est le cas pour beaucoup de ces spectateurs, mais le choc visuel issu de cette rencontre est encore très vivace à ma mémoire. Plutôt familier de l’œuvre photographique et vidéographique de ­l’artiste, le diptyque m’a néanmoins surpris, bousculé. J’y reconnaissais des détails ­antérieurement vus dans le travail de Cumming, mais l’ensemble me semblait se distinguer passablement de la facture habituelle de ses œuvres et de ses préoccupations plastiques. La lecture du texte que Catherine Bédard consacre à ce magnifique travail dans ce catalogue produit dans le cadre du Mois de la photo 2006 à Paris, a su dissiper bon nombre de mes questions. Voilà exactement le type d’ouvrage que l’on aimerait avoir plus souvent à portée de mains, dans sa bibliothèque. 

D’emblée, l’auteure précise que « la relation entre le photographe et ses modèles n’est plus l’enjeu de l’œuvre […] » (p. 19). S’intéressant tour à tour à la démarche de l’artiste, au contenu des « deux tableaux ­monumentaux et tapageurs », aux techniques utilisées, ainsi qu’à ­l’esthétique du diptyque, elle parvient à mettre en lumière les enjeux majeurs de ce travail, tout en prenant soin de l’inscrire dans le corpus de Cumming. 

Elle souligne clairement ce qui est une des forces du travail récent de l’artiste, soit sa capacité à jouer avec les attentes du spectateur et à tirer un parti singulier de l’effet de rétrospective engendré par l’œuvre. À cet égard, elle écrit : « À strictement parler, Prologue et Épilogue forment une œuvre en deux parties mais leur complémentarité est soudée autour d’un corps absent, incorporel, qui manque et devient à ce titre un objet de désir d’autant plus paradoxal qu’il est appelé par une multitude de corps non désirables. » (p. 25) Analysant le mode de composition des œuvres, elle fait voir comment Cumming parvient à interpeller directement le spectateur « en construisant un effet de rabattement excessif qui projette l’ensemble du tableau [vers ce dernier et] le lui jette à la figure » (p. 30). 

Par cet intérêt marqué pour les questions plastique et artistique, Bédard évite de sombrer dans l’analyse iconographique simpliste dans laquelle les commentaires sur le travail de l’artiste tombent trop souvent. Ce désir de renouveler les lectures se perçoit aussi dans la composition de l’ouvrage, qui s’ouvre et se clôt sur deux bonnes reproductions des deux œuvres, l’une en couleur et l’autre en noir et blanc. Ainsi, le lecteur peut à sa guise faire des allers-retours entre elles, le texte français et sa ­traduction anglaise, logés en leur centre, ces derniers encadrant à leur tour une sorte de portfolio de nombreux détails de l’œuvre en grand format. C’est comme si le dispositif mis en place par l’artiste à travers ces deux grands collages mélangeant peinture et photographie, analysé admirablement par l’auteur, continuait à se jouer jusqu’au cœur du catalogue. C’est là la marque d’un travail intelligent et bien fait.

Pierre Rannou
Pierre Rannou
Cet article parait également dans le numéro 61 - Peur
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