La peinture de Karel Funk en est-elle une de présence ou d’absence ? Les points de vue semblent diverger à ce sujet. Et puis bien d’autres encore. Il y a que l’artiste de Winnipeg ne laisse personne indifférent. D’un côté, les modernistes prêchi-prêcha reprochant au peintre sa filiation hyperréaliste, un certain académisme de par le rendu d’un art plus vrai que vrai ; de l’autre les commentateurs de l’œuvre qui en font le porte-étendard du portrait contemporain. Pourtant, d’une maîtrise à couper le souffle, cette peinture en dit beaucoup plus sur son époque que ne le laissent entendre les exégètes qui semblent y voir beaucoup moins que plus de cette représentation sociale propre à l’art du portrait. Étrangement.
De par une prédilection pour les petits et moyens formats, de par la représentation de figures esseulées, de bustes, de têtes, visages fermés, solitudes paroxystiques, de dos ou de demi-profil, jeunes hommes jamais de front, regards jamais croisés, Funk donne à voir une réalité unique, une réalité inextricablement propre à son temps ; éclectique, technique, sophistiquée, dépeuplée ; tout contre nature de par la mise en scène de modèles aux vêtements synthétiques, de plein-air, protection contre les éléments extérieurs, toile entre le corps et le monde, comme la peinture, certainement. Si, contrairement aux influences évidentes du peintre (portraitistes de la Renaissance, peinture flamande du 17e siècle), très peu d’émotivité ne découle des tableaux, ceux-ci élaborent toutefois tout un dialogue entre la peinture et la représentation, l’image et la matérialité de l’image.
Qu’on aime le travail de Funk ou pas, il reste indéniable que cette première monographie consacrée au jeune peintre est un ouvrage de grande qualité. On y reconnaît bien sûr la signature du Musée d’art contemporain de Montréal, les reproductions y sont superbement rendues, l’ouvrage est sobre, magnifiquement. Toutefois, l’album est plus ou moins heureusement accompagné de deux textes auxquels nous pourrions reprocher un ton professoral quelque peu fastidieux, en particulier l’essai de Pierre Landry, conservateur au Musée d’art contemporain, qui, de par une analyse quelque peu restrictive, en vient à conférer à l’art de Funk un caractère théoriquement indivisible, esthétisant, voire arbitraire : « La peinture de Funk met en relief les tensions inhérentes à un tel système qui invite le spectateur à croire en une situation dont la nature illusionniste lui est par ailleurs connue. En effet, Funk met en œuvre les conditions nécessaires à l’établissement du statut de spectateur (regarder sans être vu) tout en les contredisant de diverses manières. » Par contre, les textes de Landry et de Carter Foster (conservatrice au Whitney Museum of American Art de New York) ont la générosité certaine d’offrir au lecteur une théorie du regard qui, par un questionnement subtilement déployé, sonde ces figures sans émotivité propre ; expressions d’une absence néanmoins habitée qui impose une intimité particulière, une familiarité qui ne confère sensément aucune intention au spectateur, sinon le désir de regarder.
