Idler // Mladen Stilinovic //
Un artiste qui n’invente rien
du 8 mai au 12 juin 2010

Photo : Michel Brunelle, permission de VOX, Centre de l'image contemporaine
du 8 mai au 12 juin 2010
Mladen Stilinovic, artiste conceptuel originaire de Belgrade, cherche à bouleverser les idées reçues dans le domaine artistique en proposant un art de la paresse. Exposée dans son manifeste L’éloge de la paresse selon un plan existentiel et performatif, sa pratique vise à libérer l’art des liens économiques, politiques et idéologiques qui l’enchaînent. S’opposant au fétichisme de l’objet, qui selon lui mène à l’abandon de l’art en tant que tel (voir son texte Dear Art, 1999), l’artiste présente des œuvres d’une apparence modeste et inachevée : plusieurs petits carnets reliés à la main où l’on trouve des inscriptions écrites au crayon, quelques albums de photographie, ainsi que les pages d’un dictionnaire, accrochées tout au long du mur de la salle principale de la galerie. L’exposition rétrospective Idler // Mladen Stilinovic// Un artiste qui n’invente rien fait donc le bilan d’une démarche paradoxale, à la fois nihiliste et affirmative.
Les œuvres en question témoignent d’un procès que Stilinovic nomme la « décréation », stratégie alliée au nihilisme qui cherche à vider les symboles, incluant le langage, de leur contenu sémantique. Sur chaque page du livret Flags (1991-1992), par exemple, l’artiste a dessiné un drapeau différent, dont les traits communs sont leurs couleurs (le rouge et le noir) et l’inscription, au-dessus des couleurs, du signe mathématique d’égalité suivi du chiffre zéro (= 0). Loin de nous proposer de nouveaux symboles culturels et géopolitiques, ces images réalisées dans un style naïf invitent le lecteur à faire face au côté arbitraire de toute notion d’identité par l’intermédiaire d’une réduction à zéro de la signification de chaque drapeau.
L’œuvre plus récente Dictionary – Pain (2003-2004) emploie aussi cette stratégie d’éclatement sémantique du symbole. Au moyen d’un liquide correcteur, Stilinovic a effacé les définitions de tous les mots d’un dictionnaire anglais de 523 pages, et écrit en lettres majuscules le mot anglais pain à côté de chaque terme. Ici, le ton ironique et souvent ludique de Stilinovic révèle une intensité troublante. Marquée par une répétition qui fait écho au trauma et à la régression psychiques, cette œuvre rature la logique de catégorisation sur laquelle se base le dictionnaire et la remplace par une émotion élémentaire qui évoque La nausée de Sartre : la douleur. Cette stratégie ne manque donc pas de susciter une réflexion existentielle chez le visiteur.
En revanche, cette tactique nihiliste, tabula rasa de la symbolisation, est complétée par une affirmation qui situe la pratique de Stilinovic dans la lignée des romantiques (bien qu’il démente cet héritage). Axée sur une perspective qui éclipse l’art en tant que produit et favorise une ouverture à l’imprévu, à la contingence et même aux essais et erreurs communs au processus de création, la paresse en tant que méthode artistique souligne l’importance de la liberté humaine au cœur de tout acte créatif.