Récurrence du re-ré

Passé la volution, à l’âge de la retraite, une solution fut prise : retourner dans la lande natale, là où les hommes retroussent leurs manches, frottent leurs paumes l’une contre l’autre, et labourent la terre sans relâche.

Le voici revenu vers ce qui lui est le plus cher (il essuie une larme, pas nous).

Au travail ! La terre est peu fertile et la jeunesse s’est enfuie hors du pays.

Il dénoua ses vieux outils agricoles de leur toile de protection et les posa sur ses épaules de marbre. Agile, il exécuta une pirouette, position arc-flèche sur un quart de tour, puis la tête haute il marcha vers le jardin jadis verdoyant. Recommencer le travail sur cette terre laissée à l’abandon, repérer les assises, reconstruire les pourtours, recreuser les rigoles d’irrigation, recycler les matériaux encore utilisables, reprendre pied, péter les mêmes gestes anciens, reformer ce qui fut déformé, renouer avec le sol. Se reconstituer une dernière fois, revoir ce qui fut.

Rétablissement sommaire

Les humains sont de nos jours sédentaires. La vaste majorité de ceux-ci demeure tout au plus à quelques kilomètres de l’endroit où ils sont nés, satisfaits du sentiment d’appartenance que procure la terre d’origine.

Ce n’est pas avant l’âge adulte que l’humain songe parfois à un nouveau territoire définitif. Les causes de ces expéditions périlleuses sont nombreuses : famine, guerre, génocide, désespoir, toutes ces raisons qui forcent la nécessité ; plus rares sont les motivations aventureuses, elles sont un luxe.

La prolifération hystérique des frontières et des drapeaux ne favorise plus l’activité nomade. Pourtant, ils sont encore des millions songeant à fuir leur terre natale – au grand dam des gardes-frontières qui ne festoient jamais en paix puisque d’innombrables illégaux sont sans cesse aperçus à des milliers de kilomètres de leurs territoires d’origine.

Lorsque ces transfuges tentent de se caser en territoire étranger, c’est alors que s’ouvre la saison des chasses impromptues.

Histoires de chasse

A. Aire et ailleurs.

La femelle humaine et son petit hivernent toujours ensemble dans la même aire, contrairement aux mâles qui se rassemblent fréquemment ailleurs pour passer l’hiver en groupe à se raconter des histoires de chasse.

B. Bang bang !

Xavier Durançeau, artiste multidisciplinaire, agitateur et fondateur de la galerie Animelles en Gros1 1 - Animelles en Gros, galerie d’art sursitariste animée par Xavier Durançeau depuis 2009. Coordonnées : 967 Ogilvy, Montréal, 514 992-2676, flatf@videotron.ca. Heures d’ouverture : 13 h à 17 h du mardi au jeudi, relâche le mercredi., s’oppose à toute forme de partenariat arts-affaires : « Le discours omniprésent sur les bienfaits et la nécessité d’une alliance arts-affaires est une tromperie marchande. On observera bien deux ou trois artistes arrivistes qui, n’imaginant rien d’autre qu’une gloire personnelle, désireront s’associer avec quelques gros richards en mal d’exotisme, mais en règle générale cette histoire est un mirage qui dupe peu. Au sujet des motivations philanthropiques du milieu des affaires, le président de la Chambre du commerce du Montréal métropolitain a le mérite d’être limpide : “ il y a une prise de conscience de la valeur économique de la culture et des arts ”. Affairiste, il n’aura pas un seul mot sur les raisons de l’art ; en a-t-il la moindre idée ? Arts et affaires sont des entités antagonistes, l’alliance est contre nature. Côtoyer la pensée triomphaliste et unilatéralement économique des gens d’affaires au sein du conseil d’administration de sa petite compagnie théâtrale est une traîtrise que l’on se fait à soi-même. Comment pactiser avec ces amateurs de sauce à la culture ? Au contraire, l’abîme naturel qui sépare l’art et le milieu des affaires doit demeurer infranchissable. Mieux, c’est la guerre que nous voulons ! L’artiste est un chasseur, parmi ses proies favorites il y les gens d’affaires, petits pigeons qu’il fait bon déplumer. »

Rafraîchissant commentaire qui indique que la saison de la chasse est ouverte.

C. Chez eux.

Chez le mâle, fidélité est un terme fourre-tout. Chez la femelle, amour est un terme secret. Chez le mâle, chasse est un terme là/pas là. Chez la femelle, absence est un terme délai. Dans tous les cas, ces termes sont des pièges efficaces.

D. Dur début.

Lu ceci : China Newborn Flushed Down Toilet Cries Heard In Sewer Pipes Miracle Baby Survival CCTV2 2 - Taper tel quel sur YouTube : China Newborn Flushed Down Toilet Cries Heard In Sewer Pipes Miracle Baby Survival CCTV. Vous verrez, ça marche, c’est miraculeux ! . Difficile de se reconstituer entièrement après un début aussi raide.

E. En effet.

La prédation, la noyade, le couteau électrique ou l’égarement fatal pendant que la mère est partie se nourrir au casse-croûte du coin, sont parmi les premiers dangers mortels que peut rencontrer le jeune humain au début de sa vie. Sinon, la femelle homo sapiens protège généralement bien son petit. Le mâle également, le cas échéant.

Renouvellement des stocks

La reconstitution théâtrale de scènes historiques décisives – batailles, annexions, signatures de traités crosseurs, annihilation, enfin toutes ces choses passionnantes qui constituent les raisons d’une nation – est une activité étatique courante et estimée. Il n’est pas certain que ces reconstitutions historiques maniaques soient une occupation souhaitable. Le devoir de souvenir est facultatif, qu’il soit étatique ou personnel, c’est à la lucidité de chacun.

Pour se reconstituer entièrement, il est préférable de « jouer un nouveau jeu chaque jour nouveau3 3 - Kao Ying-Yang, Aucun sac troué ne résistera longtemps, Éditions en Langue Étrangère, Pékin, 1973, p. 8-9.. » Jouer jeu jour, c’est la clé triangulaire du renouvellement des stocks.

Il ne faudrait cependant pas y voir un incitatif à se rendre au casino festoyer avec ses nouveaux amis du milieu des affaires.

Recyclage de ramure

« L’orignal est l’hôte le plus spectaculaire de notre forêt boréale. Les gens d’affaires reconnaissent à ce gibier une valeur récréative telle que cette espèce devient une ressource économique de plus en plus importante pour notre province. C’est un phénomène semblable à celui de la culture et des arts. En termes économiques et récréatifs, nous pourrions même affirmer que l’orignal et l’artiste ont une valeur comparable. Dommage qu’il y ait moins d’orignaux que d’artistes dans le Montréal métropolitain », dira le président de la Chambre du commerce du Montréal métropolitain lors de son dîner de chasse annuel (de l’orignal y fut servi).

Au Québec, l’orignal est une proie de choix. Le moment du rut est une période exceptionnellement intéressante pour le chasseur comme pour le jardinier (car le temps de la récolte et des conserves coïncide toujours avec celui du rut et de la chasse – voici d’ailleurs une excellente recette qui met à contribution l’orignal et le bleuet, Langue d’orignal aux bleuets du Frère François : laisser dégorger la langue pendant deux heures dans de l’eau froide. Cuire ensuite deux autres heures à feu doux dans un bouillon accompagné d’oignons, de thym, de persil et de feuilles de laurier (quantité au goût). Ajouter sel et poivre dans la marmite. Le bouillon doit recouvrir la langue tout au long de la cuisson. Durant celle-ci, on aura soin d’écumer le bouillon de temps à autre de manière à ce que la langue ne perde pas de sa verve. Une fois cuite (elle est à point lorsque la peau est facile à détacher), on la pèle. Elle sera ensuite fendue dans le sens de la longueur, et couchée dans son jus. C’est alors que l’on ajoute le petit fruit aimé de tous. Une centaine de bleuets fera l’affaire (inutile de les compter). Puis on recouvre la marmite pour laisser mijoter encore de quinze à vingt minutes. Une petite recette dont on reparlera !).

Le rut de ce gigantesque cervidé se déroule en quatre périodes4 4 - Plus grand cervidé de notre époque, rien ne le distingue a priori de l’artiste puisque l’orignal pratique lui aussi la monogamie. La majorité des observations relevées sur les aires de chasses permettent de confirmer cet énoncé. Cependant, l’ensemble des observations faites dans les ateliers d’artistes n’autorise pas de certitude. Disons que l’artiste a des prétentions monogames, peut-être malgré lui..

Voici la version virile :

1. Le prérut. Cette période comprend la maturation du panache et du pelage5 5 - Vous n’êtes pas sans savoir que l’orignal mâle perd son panache chaque hiver. Cet ornement, généralement limité au mâle, peut être rencontré chez une femelle. Il est alors de dimensions plutôt restreintes – c’est comme le poil chez l’humain., ainsi que la modification drastique du comportement masculin. Les grands vaisseaux sanguins du panache encore couvert de duvet se sténosent, et celui-ci perd sa grande sensibilité. Alors le mâle commence à toucher son panache, c’est-à-dire qu’il frotte aux arbres ses bois pour les libérer de leurs velours – on dit aussi que l’animal brunit son panache. Les frayes sont ces petits arbres déchiquetés qui ont souffert des premières ardeurs viriles du mâle. De casanier, silencieux et timide qu’il était, il devient vers la mi-septembre bruyant et agressif.

2. Le début du rut. C’est la recherche d’une femelle. Chez l’orignal, la femelle est la plus agressive et la moins tolérante – la chose est encore discutée en ce qui concerne les humains. C’est donc avec nervosité que le mâle se met en quête d’une femelle qu’il suivra de loin. Puis il se rapprochera progressivement à mesure que celle-ci s’habituera ou se laissera coquettement rattraper. Cette période est critique pour le mâle : la recherche obsessive d’une compagne le rend susceptible de répondre à l’appel létal du chasseur – la chair est faible et la mort est proche.

3. Le rut. La femelle se laissant rattraper, le mâle devient chaque seconde plus excité. Afin de se parfumer pour convaincre davantage cette beauté, le buck creuse virilement des souilles dans lesquelles il urine et se vautre. Même un odorat peu averti décèlera à plusieurs centaines de mètres l’odeur de ces souilles. Viennent ensuite les grandes effusions. Le couple enfin uni ne voyage plus, et pendant les quelques jours qui suivront, son univers euphorique se limitera à quelques mètres carrés. L’union sera re-rerépétée. Cette activité fébrile est la période la plus difficile pour le chasseur puisqu’il en est réduit au voyeurisme attendri. Sans autre alternative, il devra attendre de rencontrer quelque célibataire éconduit, toujours en quête d’une belle aux yeux forcément bruns.

4. La disjonction du couple. Cette phase se déroule à l’inverse de la première : les amoureux perdent peu à peu leur motivation initiale. Ils se suivent de plus en plus loin pour finalement se perdre de vue et de nez. Bientôt, plus rien ne restera de l’union, ni d’un bord ni de l’autre, le désir étant consumé, c’est final bâton.

5. Réflexion culinaire post mortem. Il est difficile de déterminer la durée de chacun de ces quatre épisodes. Les différentes castes de spécialistes (dans l’ordre économique : chasseurs sportifs, zoologistes, taxidermistes, braconniers et aborigènes) estiment à 2 ou 3 semaines la durée de la vie amoureuse du couple. Or dans la nature merveilleuse, puisque les grands événements de la vie sont synchronisés par des facteurs universels tels que lumière, température, pluie de météorites et saison des chasses, nous pouvons présumer que la grande majorité des femelles, pendant ces quelques semaines, auront eu leur moment de gloire, et qu’elles entreprendront une longue gestation de huit mois, alors que les mâles de nouveau disponibles trouveront chasseurs à leurs ardeurs. Moins glorieux, les bucks seront nombreux à finir apprêtés en sauce rémoulade.


Avec un corps trapu porté par des membres démesurément longs, un cou très court qui supporte une tête aussi démesurément longue, à première vue l’orignal n’est pas le plus esthétique des cervidés, mais à le voir évoluer dans les tourbières humides, dans les sous-bois embarrassés ou dans plusieurs mètres de neige, nous réalisons qu’il est tout de même un chef-d’œuvre d’adaptation (il fait ainsi penser à l’auteur).

Michel F Côté
Cet article parait également dans le numéro 79 - Reconstitution
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