
Photo : Jean-Michael Seminaro, permission de MOMENTA
T’uy’t’tanat-Cease Wyss œuvre depuis plus de 30 ans à tisser des liens entre art, agriculture et engagement social. Travaillant conjointement avec différentes communautés marginalisées ou racisées à l’élaboration de potagers urbains, l’artiste s’intéresse au pouvoir régénérateur de certaines plantes et à leur capacité d’assainir les sols abandonnés ou contaminés. Grâce à cette opération de décontamination naturelle par des végétaux, des lopins de terre souvent impropres à l’agriculture (re)deviennent des espaces fertiles où poussent des herbes, des courges et des plantes à même d’alimenter le corps et l’esprit de celles et ceux – êtres humains, oiseaux, abeilles – qui s’y rencontrent. Prospèrent en ces lieux lovés au cœur du bitume différents écosystèmes nourriciers, preuves tangibles du pouvoir restaurateur de la biodiversité.
Dans le quartier chinois de Vancouver, le projet x̱aw̓s shew̓áy̓ New Growth « 新生林 » (2019–en cours) table sur la synergie propre à cette biodiversité afin d’offrir une avenue résiliente mais productive à la culture maraichère à petite échelle. En collaboration avec les communautés chinoises, afrodescendantes et autochtones locales, l’artiste a fait naitre un potager où poussent, grâce aux techniques de la permaculture, des fruits et légumes indigènes de la côte du Pacifique. Les projets A Constellation of Remediation (2017-en cours) et TEIONHENKWEN Soutiens de la vie (2021), réalisés respectivement à Vancouver et à Montréal, réitèrent cette volonté d’éveiller les consciences à la gestion et au partage des terres pour et par tous et toutes. En plus de susciter une réflexion sur l’urgence d’assurer la souveraineté alimentaire des communautés urbaines en encourageant l’agriculture citoyenne, les œuvres de Wyss mettent en lumière des systèmes de culture et de pensée délégitimés par le colonialisme et le capitalisme. Ainsi, chacune emprunte aux méthodes agricoles traditionnelles les techniques du compagnonnage ou de la complémentarité pour garantir la pérennité des récoltes, tout en recelant des formes et des symboles autochtones porteurs d’une vision holistique de l’agriculture.
De manière à la fois pragmatique et poétique, Wyss réfléchit aux notions d’art public, d’héritage intergénérationnel, d’écosystème ou de culture comme des vases communicants. Elle nous rappelle, en somme, qu’art et agriculture doivent être appréhendés comme des écologies décoloniales.
Titulaire d’une maitrise en histoire de l’art avec concentration en études féministes, Anne-Marie Dubois emprunte aux théories féministes et queers leur potentiel critique afin de déboulonner la prétention d’ontologie des différents discours de vérité.



x̱aw̓s shew̓áy̓ New Growth « 新生林 », 2019-en cours, vues d’installation, Vancouver, 2019.
Photos : Damaris Riedinger, permission de l’artiste & 221A, Vancouver