C’est assez ! Il faut en finir avec l’affaire des frais d’inscription

Johanne Chagnon
C’est une histoire… qui continue là où elle avait été laissée au dernier numéro. Qu’est-il arrivé depuis? La faillite du communisme, l’hymne national russe disparu du palmarès, des parties entières de continent qui se restructurent très rapidement… L’ère des révolutions est terminée; même le mot «révolution» est galvaudé, comme le démontre si bien le slogan publicitaire de la compagnie Prima qui annonce «un système révolutionnaire de serviette hygiénique»!

L’occasion est belle pour un recul historique. Comme celle que nous fournit cette longue ENTREVUE de l’écrivain PHILIPPE HAECK, réalisée par DANIEL CANTY, à propos de PATRICK STRARAM et plus spécifiquement de son roman La faim de l’énigme réédité dernièrement. Car justement, «un des courants forts de la pensée de Straram, c’était le marxisme.» Sous cet angle, ce livre est aussi, sinon plus, intéressant à découvrir aujourd’hui qu’au moment de sa sortie en 1975. Même si cette entrevue-hommage crée quelque peu un mythe autour de Straram, elle permet de mieux faire connaître l’œuvre de cet écrivain, dont les livres sont quasi introuvables, mais dont l’apport est très important.

La B.D. Cité solitaire de LUIS NEVES, qui en est rendue à son 8e épisode et est toujours plongée en plein mai 68, prend, elle aussi, un autre éclairage et nous fait s’interroger : qu’est-il arrivé de tous ces espoirs? Aujourd’hui, tous les pays capitalistes crient victoire; la preuve serait faite : leur système est le meilleur, sans discussion. De là à l’imposer partout… Mais nous aussi, tout comme dans les pays ex-communistes, nous sommes arrivé-e-s à un point où il va falloir remettre en question nos modèles de société. Cette critique sociale sera-t-elle possible? Pour le moment, il ne semble n’y en avoir que pour le libéralisme économique, barrant la route à tout projet qui y ferait contrepoids. Pendant ce temps, Luis Neves ne cesse de s’inquiéter, comme en fait foi son commentaire à propos de l’affiche utilisée par le Musée des beaux-arts pour son exposition Les année 20 : l’âge des métropoles.

Toujours dans cet esprit de recul historique, l’exposition de François Lavoie, commentée par André Greusard dans la chronique MONTRÉALITÉS, nous replonge dans l’atmosphère de la 2e Guerre mondiale et nous reprojette les questionnements d’alors comme encore pertinents actuellement.

Avant, il y avait de «vrais ennemis» : le capitalisme contre le marxisme. Mais maintenant, qui est l’ennemi, au règne de la subtilité? Sans vouloir penser en termes d’«ennemi», à un moment donné, il faut bien s’attaquer à quelque chose, puisqu’on se bat. Si c’est si difficile, c’est parce que l’ennemi est extérieur, mais c’est notre propre mode de pensée qu’il faut revoir. Si, ici, en Amérique du Nord, on a haussé le flambeau de la liberté, il faut justement la questionner, cette liberté : la liberté, oui mais comment? aux dépens de qui? en autant qu’elle reste dans l’ordre économique imposé? Nos beaux principes nord-américains, il faut les remettre en question; ce n’est pas facile, on vit si douillettement avec eux. C’est sûrement plus difficile que de pointer les autres : «regarde la torture qu’ils imposent». Il est tellement commode de déborder et aller voir ailleurs : tout de suite, ailleurs, il y a des affaires pires qu’ici. Est-ce qu’on devient missionnaire? Ou on va se battre contre la dictature? Ce sont des questions qu’on se pose quand on est le moindrement conscient-e du monde. Ou on travaille ici, maintenant, dans nos vies, tout le temps.

L’ennemi, c’est moi-même : parce que je tolère des choses intolérables.

Si on commence par apporter des changements ici, après on peut prétendre pouvoir faire la même chose ailleurs. On a consommé à fond de train sans se poser de questions pendant 30 ans de «progrès». Et une fois que ça commence à nous retomber sur le nez, on voudrait demander aux autres d’écoper pour les emmerdes qu’on a faites. C’est comme, par exemple, l’organisme international qui s’occupe de la couche d’ozone et qui demande à la Chine d’enligner le tir au niveau des CFC. Comment demander à un milliard d’individus qui attendent depuis 50 ans pour se mettre à jour d’attendre encore 20 ans! On ne peut pas se permettre d’imposer à d’autres pays des restrictions au niveau de leur accession à un minimum vital intéressant quand, ici même, on se noie dans nos propres ordures ménagères.

Et ce changement à opérer, il ne partira pas des structures de pouvoir en place — car qu’importe les gens qui vont entrer dans ces mêmes structures, le pouvoir, ça se joue toujours de la même façon — il partira de l’individu, et ça, ce n’est pas une position individualiste, au contraire. Encore ici, Patrick STRARAM, révélé dans l’entrevue justement intitulée Le jeu du je, nous offre l’exemple de quelqu’un qui avait des préoccupations à la fois politiques et individuelles, ce qui semble lui avoir aliéné du monde des deux côtés, autant de la gauche que de la droite.

Quant à l’article de NICOLE THÉRIEN sur l’artiste Kittie Bruneau, dans la chronique PORTRAIT, il nous offre cet autre exemple d’une artiste qui mène sa vie et sa pratique dès les débuts en puisant à sa propre expérience et à l’encontre des courants artistiques dominants représentés à l’époque par le mouvement plasticien et le discours formaliste. Pour la chronique COMMENTAIRES, PAULINE MORIER part d’une expérience personnelle qu’elle a vécue en participant à une exposition collective, pour faire quelques réflexions sur la place de l’œuvre d’art public. Et le productif DANIEL CANTY aborde de façon très personnelle, puisant à ses lectures du moment, la dernière exposition de Louise Viger, dans la chronique MONTRÉALITÉS.

Une des façons de s’exprimer socialement en tant qu’individu, c’est de prendre son droit à la parole, de manifester son opinion. Mais ce qu’on oublie toujours, c’est que malgré les critiques qu’on fait sur le système en place, on a un droit de critiquer, et que le moins on s’en servira, le plus il rétrécira. On risque qu’effectivement la marge se réduise. Si bien que le jour où quelqu’un décidera de manifester au-delà des normes qu’on avait finies par prendre pour «acquises», il se fera taper sur les doigts.

Nos droits, on ne nous les donne jamais; il faut qu’on les prenne nous-mêmes.

Il serait bon de garder ces réflexions en tête pour aborder la lecture du DOSSIER de ce numéro. «C’est assez! Il faut en finir avec l’affaire des frais d’inscription». Ce dossier, qui s’attaque à un des aspects du fonctionnement du milieu des arts visuels, prend ainsi une toute autre ampleur. Il prend à partie une pratique considérée quasiment «normale», que même les artistes, pourtant les seul-e-s perdant-e-s dans cette histoire, sont prêt-e-s à justifier. Et il illustre bien comment, quand on veut intervenir le moindrement, il est tellement plus facile de se raccrocher à des idéaux ou à des théories que de passer à une action concrète, si minime soit-elle. Parce qu’on est alors touché soi-même dans son quotidien, et là ça devient dangereux : il faudrait poser certains gestes qui effectivement sont plus impliquants. On peut critiquer fortement le manque d’initiative du gouvernement au niveau de la protection de l’environnement, mais soi-même, est-ce qu’on se soucie de ce qu’on met dans son sac à vidanges? Lire le dossier…

En prenant notre droit à la parole, nous obligeons à garder les balises là où elles sont, aussi minces soient-elles. Des droits de parole, notre système en accorde : on n’a qu’à penser, au niveau culturel, aux audiences de la commission Arpin et de la commission parlementaire qui l’a suivi, Xe tentative du ministère des Affaires culturelles pour se doter d’une politique culturelle. Combien de gens s’y sont présentés? Beaucoup. Eh! oui, ça s’exprime, ça critique, mais là où c’est désarmant, c’est qu’on sait très bien que, peu importe ce qu’on dira, il n’arrivera rien avec ces audiences : comme conclut le texte de SYLVAIN LATENDRESSE, «Le rapport Arpin : réalité ou utopie ?» dans la chronique COMMENTAIRES. La question est posée, la réponse est donnée : après 30 ans d’existence, le ministère des Affaires culturelles demeure une vue de l’esprit. Et pendant ce temps, toutes les personnes qui ont peiné sur la rédaction de mémoires fastidieux et inutiles ne feront pas d’autres vagues parce qu’elles vont avoir l’impression d’avoir dit leur mot. Elles ne l’ont peut-être pas exprimé à la bonne place pour que ça change. Par contre, si personne ne se sert de tous ces leviers de prise de position qui existent, on va carrément les abolir. C’est le jeu qui fait en tout cas qu’au moins, le gouvernement est obligé encore d’entendre, même s’il n’écoute pas ce qu’on lui dit. C’est évidemment frustrant d’aller faire le pied de grue…

Et pourtant, une politique culturelle s’impose tellement. Quand le gouvernement nous répond qu’il ne peut accorder 1 % de son budget au MAC et qu’on voit la ministre Liza Frulla-Hébert sortir de ses tiroirs, en novembre dernier, la somme de 1 379 000 $ à Mitsou, 25 000 $ à Ginette Reno, …!? Le dossier du prochain numéro fera le bilan du «post-Arpin» et verra comment, malgré tout encore une fois, nous nous agripperons.

Mais notre appareil démocratique, nous pouvons finir par le pousser. Ce n’est pas révolutionnaire, au contraire : il s’agit juste d’utiliser le système politique en place. On a un pouvoir sur son député qui se traîne les fesses pendant quatre ans. Si chaque député sent que ses électeurs et électrices le poussent dans le dos et mettent leur appui électoral en jeu, il/elle va réagir. Le problème, c’est que si personne ne se mêle d’écrire à son député systématiquement et de le/la harceler parce que telle ou telle position ne lui convient pas, (avec copie conforme au ministre concerné, au Premier ministre, au chef de l’opposition et au critique de l’opposition sur le sujet concerné), si le député n’a pas 500 lettres sur son bureau (ce qui commence à être gênant!), il/elle ne bougera pas. Le jour où le député va se sentir les fesses chaudes, il/elle va peut-être arriver en chambre et dire : «Excusez, pardon, j’aurais une motion à apporter sur ce projet de loi». Ça se peut que si c’est un député d’arrière-banc, ça ne passe pas. Mais quand il y en aura 50 ou 70 autres qui diront : «J’ai une motion…», le ministre en place devra en tenir compte, que ça fasse son bonheur ou non.

La démocratie que nous avons ici, les gens la prennent pour acquise. Ils ont trop tendance à se dire : «Pourquoi aller voter? de toute façon… Pourquoi agir? de toute façon…» Ne pas voter, c’est déjà une abdication sociale quand on sait la quantité de gens dans le monde qui peuvent mourir pour avoir un droit de vote. C’est taré. On se vante d’avoir un système équitable et en même temps, on ne veille pas à ce que ce système respecte notre opinion. On prend pour acquis que les gains obtenus ne peuvent être perdus.

Et, comme on le mentionnait plus haut, pendant que ça proclame son indépendance à gauche et à droite dans les systèmes socialistes, ici, on en est toujours au brettage et au blabla. Car de quoi a-t-on à se plaindre au Québec? La moyenne des gens a ce qu’il faut pour ne pas faire de «révolution», mot bien galvaudé comme le démontre si bien le slogan de la compagnie…etc. Ça ne bouge pas parce que la moyenne des gens a trop à perdre par rapport aux républiques soviétiques. Quoique ici… C’est de moins en moins évident, avec la direction qu’a pris ce gouvernement qui amène un clivage de plus en plus grand entre riches et pauvres. Et quand on pense que 1992 et son référendum s’en viennent, et qu’on ne sent même pas d’élan… «Ils vont nous avoir à l’usure.»

Il y a un minimum de gestes très simples à poser : et en premier, arriver à une prise de conscience collective que si on ne se prend pas en main nous-mêmes, personne ne peut le faire à notre place.

Petit rappel : nos droits, on ne nous les donne jamais; il faut qu’on les prenne soi-même.

Johanne Chagnon
This article also appears in the issue 19 - L’affaire des frais d’inscription
Discover

Suggested Reading