Anna Binta DialloErrances – un retour

Entamée en 2019 lors d’une résidence d’artiste au Banff Centre for Arts and Creativity, en Alberta, la série Errances (aussi connue sous le titre anglais Wanderings), présentée par Anna Binta Diallo à la maison de la culture Claude-Léveillée, réaffirme une fois de plus l’intérêt de l’artiste sénégalo-canadienne pour la complexe notion d’identité. Une notion à la fois plurielle et singulière qu’elle parvient à exprimer de manière poétique et intelligente à travers le collage d’images, de textes et de photographies puisés dans des atlas, des livres pour enfants ou encore de vieilles revues scientifiques. Chaque itération de la série ajoute un chapitre à ce récit autobiographique où l’artiste s’amuse à reconstituer son identité, fusionnant histoire et mythologie pour donner naissance à des installations organiques. La mise en espace des &oelig;uvres, qui sont suspendues sur des toiles de coton translucides, collées au mur ou installées à même le sol, est donc partie prenante de cette narration où s’invite une mémoire collective. Car il n’appartient pas uniquement à l’artiste de donner un sens à ces assemblages organiques : le public aussi recompose, au cours de sa déambulation, le fil des histoires de migration – et d’errance, bien sûr – où se mêlent les expériences, les lieux communs, les souvenirs et les imaginaires de chacun·e, voire ceux des animaux et des plantes avec qui nous partageons notre vie. Leurs images sont d’ailleurs nombreuses à venir habiter l’exposition, une fougère composant ici le torse d’un personnage, une horde d’oiseaux venant là s’envoler sur l’habit d’un autre. Un troisième s’avance, la tête illuminée par une photographie de soleil levant. À ses côtés, tel un pan de décor de théâtre, un caribou prête sa forme à une découpe photographique mettant en scène un tipi sur fond de paysage hivernal (Nomad, 2020). Anna Binta DialloNomad, 2020.Photo : permission de l’artiste L’hommage que rend Binta Diallo au legs de tout·e un·e chacun·e dans la formation de notre propre identité est manifeste et teinte l’exposition d’une nostalgie étrange, car on ne sait trop si l’artiste s’adresse au passé ou à l’avenir. Des écosystèmes qui sont pour elle à la fois des portails introspectifs et collectifs lui permettent d’entrer en contact avec ses propres souvenirs, mais également avec nous. L’eau, très présente dans l’ensemble de son travail, semble faire office de lieu de commémoration, les mers et les océans ayant en leur sein la mémoire de millions de vies perdues, mais aussi celle de millions d’autres vies possibles, les flots étant pour plusieurs garants d’un avenir meilleur. Le motif de la constellation, visible dans la mise en scène autant que dans les installations elles-mêmes, est aussi très à propos et vient appuyer cette esthétique surréaliste qui caractérise le vocabulaire visuel de l’artiste. Anna Binta DialloErrances - un retour, vue d’exposition, Maison de la culture Claude-Léveillée, Montréal, 2022.Photo : Louis-Etienne Doré Binta Diallo s’inscrit à la suite d’un grand nombre d’artistes actuel·le·s de la diaspora noire qui prennent pour levier conceptuel la notion de dés-autrification (dis-othering) afin de repenser les mécanismes discriminatoires derrière l’idée même d’altérité. En déboulonnant en quelque sorte les méthodes utilisées par les institutions et véhiculées par la culture populaire pour construire et entretenir cette prétendue altérité, ses collages hétéroclites ouvrent la voie à de possibles identités décoloniales plutôt basées sur l’idée du Soi. Un exercice qu’Errances – un retour parvient, une fois de plus, à matérialiser. Anna Binta Diallo, Anne-Marie Dubois

Anna Binta Diallo
Errances – un retour

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