Esse arts + opinions est une revue d’art contemporain bilingue publiant principalement des analyses critiques et des essais sur les pratiques artistiques récentes. Les textes pour le dossier thématique (de 1 500 à 2 000 mots maximum) doivent être envoyés en format DOCX ou RTF) à [email protected] avant le 1 septembre 2025. Veuillez inclure, à même le texte, une courte notice biographique (35 mots) ainsi que votre adresse courriel et postale. Les personnes qui souhaitent d’abord soumettre un résumé d’intention (250-500 mots) pour le dossier thématique sont invitées à le faire avant le 1 juin 2025. Aucun résumé d’intention ne sera lu après cette date, mais il est tout de même possible de soumettre un texte final à la date de tombée du dossier (1 septembre 2025).

No. 116 : Immersion

Date de tombée : 1 septembre 2025

Ces dernières années, la notion d’immersion s’est imposée comme un thème dominant des expositions d’art contemporain et des approches critiques. On peut penser à l’« expérience immersive » à grande échelle qui présente les œuvres des « grands maitres » au moyen des nouvelles technologies et d’installations nécessitant plusieurs projecteurs. Van Gogh, Da Vinci, Klimt et Dali ne sont que quelques-uns des artistes qui ont fait l’objet de ces expériences de réalité augmentée (RA) ou de réalité virtuelle (RV). D’autres initiatives, comme celles du collectif TeamLab, proposent plutôt que les espaces immersifs soient des œuvres d’art. Dans ce cas, ces projets occupent des bâtiments imposants et chaque pièce est remplie de ce que le collectif appelle des œuvres d’art « corporellement immersives » : les visiteuses et visiteurs peuvent patauger dans des bassins d’eau, rebondir sur des surfaces étranges ou se promener dans une forêt de plantes bourgeonnantes. Ces exemples renvoient, d’une part, à des questions financières et capitalistes ; d’autre part, ils soulèvent des questions philosophiques sur l’élan à l’origine d’un mouvement axé sur l’immersion.

La pandémie de COVID-19 a laissé de nombreux musées et plusieurs institutions culturelles dans une situation financière difficile. Par conséquent, la pression se fait de plus en plus forte pour que ces derniers intègrent dans leur programmation les méthodes du secteur du divertissement artistique, en plein essor, et dont le chiffre d’affaires atteint le milliard de dollars. L’accessibilité de l’art devient ici une question centrale dans ces discussions. En mélangeant la technologie, la science et l’art et en éliminant les distinctions entre le corps et la machine, entre le support et le message, entre l’image et la réalité, nous pourrons peut-être aussi faire tomber certaines barrières élitistes qui entravent l’art contemporain, un milieu dont tant de personnes d’origines économiques et éducatives diverses se sentent exclues.

De manière générale, être immergé·e signifie être absorbé·e par une situation, une action ou un intérêt. Une autre définition possible du mot en souligne le potentiel sensoriel : être plongé·e dans l’eau ou tout autre liquide, être englobé·e par d’autres choses. Oliver Grau, auteur de Virtual Art: From Illusion to Immersion (2003), constate que les artistes ont expérimenté avec la notion d’immersion sous une forme ou une autre depuis des temps immémoriaux. Nous pouvons retracer l’évolution de la tendance actuelle à travers la lignée des innovations artistiques numériques et l’usage des nouveaux médias, en particulier dans les années 1960, lorsque la participation et l’interactivité ont commencé à prendre une place prépondérante dans l’expérience de l’œuvre. Les œuvres de RV et de RA empruntent d’ailleurs souvent au langage des jeux vidéo, en nous donnant l’illusion de l’action : se déplacer à gauche et à droite, zoomer et dézoomer pour explorer son environnement. Cette prétendue liberté au cœur d’un environnement englobant renforce le sentiment d’immersion ou, comme l’écrit Grau, « l’interactivité remet en question la distinction entre le créateur et l’observateur ainsi que le statut d’une œuvre d’art et la fonction des expositions ». En effet, les œuvres immersives requièrent non seulement la participation active du public, mais aussi une expérience spatiale qui submerge les sens, de telle sorte qu’elle ébranle la nécessité d’une distance esthétique traditionnelle et bouleverse les théories voulant que la distance physique assure l’exercice d’une pensée critique. Certaines personnes estiment que l’immersion augmente l’investissement émotionnel des participant·es tout en les privant d’une distance critique par rapport à l’œuvre.

Notre attention est dorénavant sollicitée dans toutes les directions par un assaut incessant d’informations et de crises climatiques et sociopolitiques constantes. Dans ce contexte, l’immersion totale devient donc un moyen attrayant de mettre tout ce chaos en sourdine et de vivre une expérience pure de l’art. Cela dit, le critique et historien Hal Foster nous met en garde contre le danger politique de l’art spectaculaire qui produit une désorientation au lieu d’entrainer une réflexion critique. Autrement dit, ces expositions grandioses favorisent-elles des formes accessibles d’engagement du public dans le canon de l’art occidental, ou ne font-elles qu’exploiter les modes de fragmentation et de captation de l’économie de l’attention ? Inversement, l’immersion est-elle nécessairement un espace purement somatique ?

Pour ce numéro, Esse arts + opinions recherche des textes sur toutes les formes d’immersion dans l’art contemporain et dans la théorie. Comment les artistes s’engagent-iels de manière critique dans les technologies immersives ? Inversement, quels types de pratiques rejettent la technologie dans leur quête d’immersion ? Y a-t-il un aspect de l’immersion qui rappelle les idéaux esthétiques du gesamtkunstwerk, dans lequel l’architecture, l’art, la musique et le langage sont combinés au service de l’art ? Comment ces expériences abolissent-elles les frontières omniprésentes entre le spectatorat, le corps et l’art ?

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