Myre_Landscape of Sorrow
Nadia MyreLandscape of Sorrow, detail, 2008.
Photo : Guy L'Heureux, permission de l'artiste

Tracer des lignes

Emily Falvey
De 1945 jusqu’à nos jours, les artistes radicalisent à la fois la pratique et la définition de l’inachèvement. Ainsi le non finito pourrait tout aussi bien s’appliquer au mode de présentation de l’œuvre, au choix des matériaux dont elle est faite et au rapport qu’elle entretient avec le temps et l’espace qu’à son apparence et à la technique utilisée. Les artistes de cette période invitent souvent le spectateur à participer à l’achèvement d’une œuvre qu’ils ont commencée, mais laissée inachevée délibérément ; travaillent avec des matériaux destinés à se désintégrer et à disparaitre ; fabriquent des objets qui dépassent, littéralement ou métaphoriquement, leurs propres limites spatiales et temporelles1 1 - Kelly Baum, Andrea Bayer et Sheena Wagstaff, « Introduction: An Unfinished History of Art », Unfinished: Thoughts Left Visible, New York et New Haven, The Metropolitan Museum of Art et Yale University Press, 2016, p. 15. [Trad. libre].

À première vue, l’esquisse peut sembler un thème quelque peu anachronique dans un monde de l’art préoccupé notamment par les pratiques sociales, l’art contestataire, les réseaux, le réalisme spéculatif et l’appropriation culturelle. Pourtant, il ne serait pas exagéré d’affirmer qu’aujourd’hui, l’art contemporain est quasiment synonyme d’une certaine idée de l’inachèvement dont on peut dire qu’elle prend partiellement son origine dans l’esquisse ou, à tout le moins, dans l’élévation de celle-ci au rang d’œuvre autonome. Cela ne signifie pas que les œuvres ne sont plus abouties, mais plutôt que l’inachevé domine le discours sur l’art contemporain à la fois comme catégorie esthétique et comme idéologie. Cet état de choses apparait comme une évidence à tous les points de vue, depuis le choix des matériaux et des méthodes jusqu’au degré de participation que les artistes exigent des spectateurs. Nous célébrons la juxtaposition ingénieuse d’objets finement exécutés à des objets fragmentaires ou bruts ; les pratiques sociales qui font participer le public à des expériences collectives, souvent spontanées, dont l’issue n’est pas fixe ; les théories de la réception qui situent la création du sens dans le contexte sociopolitique aléatoire et mouvant où évoluent les spectateurs. De fait, la plupart des définitions de l’art contemporain, pour qui se risquerait à en formuler une, mettent en relief le caractère labile, inachevé et indéfinissable des œuvres. Dans son célèbre questionnaire publié dans la revue October, Hal Foster relève l’hétérogénéité de l’art contemporain, faisant observer que ses pratiques semblent « évoluer librement, affranchies de tout déterminisme historique, de toute définition conceptuelle et de tout jugement critique2 2 - Hal Foster, « Contemporary Extracts », e-flux journal, nº 12 (janvier 2010), <www.e-flux.com/journal/12/61333/contemporary-extracts>. [Trad. libre] ». Plus récemment, Terry Smith décrit l’art contemporain comme « pluriel, intradifférencié, transcatégoriel, protéiforme, imprévisible (c’est-à-dire diversifié) – à l’image même de la contemporanéité3 3 - Terry Smith, Contemporary Art: World Currents, Upper Saddle River, Prentice Hall, 2011, p. 9. [Trad. libre] ».

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Cet article parait également dans le numéro 93 - Esquisse
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