Julia Martin Black Hole, détail du projet | detail from the project You Are Talking To Yourself, 2014.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist

Plaisanterie de la mort plate : l’esthétique performativiste de l’empathie chez Julia Martin

Jakub Zdebik
After Friday (2014-2018) est une œuvre dévastatrice par sa simpli­cité. La grand-mère de Julia Martin, femme qui a joué un rôle ­central dans la vie de l’artiste ottavienne et avec qui celle-ci ­partage un lien unique, meurt. « There is Nothing After Friday »1 1 - Il n'y a rien après vendredi [trad. libre], peut-on lire sous la première image, photo d’une vieille femme ­alitée, tout en nuances pastel. La composition rappelle la perspective d’une œuvre d’Annibale Carracci, Le Christ mort (1583-1585) : la femme est photographiée du pied du lit, sa tête est inclinée et, manifestement, elle souffre. Dans le deuxième cliché, flou, celui-là, la silhouette se fond dans les teintes pastel. Bouleversante, cette œuvre suscite l’empathie. Devant elle, on se demande si Martin ­n’aurait pas réussi à renverser en seulement deux photographies la position sur l’empathie en art d’Emmanuel Levinas, qui estime qu’on ne peut pas réagir à l’art par l’empathie, parce que l’empathie est un état solitaire qui rend incommunicable le contact avec la souffrance2 2 - Emmanuel Levinas, Le temps et l’autre, Paris, Presses universitaires de France (Quadrige), 2011, p. 21..

Puis, de but en blanc, Martin tire le spectateur de cette contemplation en insérant un échange de courriels à propos de choix esthétiques, déroutants par leur pragmatisme, entre elle et la graveuse de la pierre funéraire de sa grand-mère. L’artiste poursuit, subvertissant encore davantage cette expérience d’empathie déjà problématique en faisant des blagues, en comparant la photo d’un oiseau mort à la représentation de l’oiseau sur la pierre funéraire et en faisant allusion à l’horaire télévisuel des épisodes de MAS*H, de Touched by an Angel et de Walker, Texas Ranger. Ce faisant, elle atténue avec humour la douleur qui infuse le quotidien. Et pourtant, l’humour ne masque pas le traumatisme qu’elle exprime. Martin allie mots et photos pour rendre compte du drame de la perte et de ses répercussions d’une manière qui serait impossible au moyen des mots ou de la photo, pris isolément3 3 - L’utilisation que fait Martin de l’appropriation et de la combinaison image-texte est teintée d’une espèce d’ironie romantique. Jan Verwoert, « Impulse Concept Concept Impulse: Conceptual Art and Its Provocative Potential for the Realisation of the Romantic Idea », dans Jörg Heiser, Susan Hiller, Collier Schorr et Jan Verwoert, Romantischer Konzeptualismus/Romantic Conceptualism, Bielefeld, Kerber Verlag, 2007, p. 169..

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Cet article parait également dans le numéro 95 - Empathie
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