James Bridle Drone Shadow 004, Washington DC, 2013.
Photo : permission de l’artiste

L’inépuisable surplus de savoir des objets d’art

Oli Sorenson
Jadis, en 1962, Umberto Eco publiait Opera aperta (en italien, sa langue maternelle) pour défendre l’idée que les œuvres créatives non seulement produisent des chaines de sens, mais qu’en édifiant d’innombrables relations dynamiques avec leurs lecteurs, elles ouvrent des champs entiers de significations1 1 - Umberto Eco, L’œuvre ouverte, traduit de l’italien par Chantal Roux de Bézieux et André Boucourechliev, Paris, Seuil (Points/Essais), 2015.. Ce texte phare d’Eco, paru en français en 1965 sous le titre L’œuvre ouverte, a contribué au virage sociétal de la pensée occidentale vers la multiplicité et la pluralité amorcé par le poststructuralisme, la philosophie postmoderne et bien d’autres courants de gauche dans les sciences humaines. Dans cet esprit, des penseurs de premier plan comme Jacques Derrida ont critiqué les récits dominants de leur époque, remettant en cause notamment la validité des propositions binaires dans les théories scientifiques, dont l’acceptation ou la réfutation repose sur des notions mutuellement exclusives de vérité ou de fausseté.

Malheureusement, les politiciens de droite s’appuient eux aussi sur une rhétorique postmoderniste pour soutenir que la vérité objective n’existe pas. Les instigateurs populistes se servent de présumés « faits alternatifs » pour mettre en doute les preuves scientifiques, mais cette fois au profit de l’influence grandissante des émotions sur la raison. La fragmentation des sources journalistiques traditionnelles, conjointement avec l’émergence des médias sociaux, favorise la prolifération de sources d’« information » atomisées qui répandent théories conspirationnistes, pensée magique, propagande politique, illusions de masse et négation des faits concernant les changements climatiques, l’évolution, les vaccins et la cigarette. La quantité phénoménale de postvérités qui se propagent depuis la nomination d’un certain président orange n’est pas nouvelle ; les précédents sont nombreux, bien que plus modestes en proportion : l’échange d’otages contre des missiles avec l’Iran, par exemple, que le président Reagan a toujours nié, ou l’affirmation de Bush fils selon laquelle Saddam Hussein était en possession d’armes de destruction massive2 2 - Voir Lee McIntyre, Post-Truth, Cambridge, MIT Press, 2018.. Lorsqu’ils viennent renforcer les préjugés et la mentalité du « nous contre les autres », ces mensonges flagrants transforment la liberté d’expression en un système dysfonctionnel de prophéties autoréalisatrices, répétées jusqu’à saper la confiance du public envers les institutions et les élites intellectuelles, transformées en récits crédibles de haine et de peur3 3 - Ibid..

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Cet article parait également dans le numéro 98 - Savoir
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