L’art est bien, mort Merci (Constat de l’état de la culture au Québec suite au rapport Arpin)

Johanne Chagnon
L’uniformisation va bon train. Depuis la désignation de l’URSS, tous se lèchent les babines en rêvant aux nouveaux marchés qui s’offrent aux tenants du nouvel ordre économique mondial. Avec l’ouverture de l’exposition de Séville, on se pète les bretelles à qui mieux mieux. Et pendant ce temps, les Kurdes se gèlent toujours les pieds dans les montagnes du nord de l’Irak… et Israël continue sa colonisation des territoires occupés dans le mépris des résolutions adoptées par l’ONU.

Quant à nous, l’attentivisme chronique de Bourassa n’a d’égal que celui de Mulroney. Pendant combien de temps allons-nous encore endurer les hésitations et les faux-fuyants de nos politiciens sur une éventuelle solution à la crise constitutionnelle qui s’éternise? Ces derniers, aveuglés par leur quête, demeurent indifférents face à l’urgence des problèmes sociaux, culturels, de santé ou d’éducation. De temps à autre, pour se donner bonne conscience, ils nous pondent un rapport Allaire ou faute de mieux un rapport Arpin et ce, sans compter la pléiade de référendums qui plane au-dessus de nos têtes.

En fait de recul historique, ou de sur-place, nous sommes particulièrement gâtés ces mois-ci avec le rapport Arpin et les fumeux articles de Jacques Dufresne, Jean-Claude Leblond et Geneviève Picard sur la situation des arts au Québec. On verra dans le dossier «L’art est bien, mort. Merci» qui fait l’analyse du contexte post-Arpin, comment Arcand, Dubois, Godbout, Lacombe, Lamoureux et Perreault essaient de démêler les nœuds engendrés par les multiples définitions du mot même de «culture».

Qu’est-ce, en fait, que la-notre-une-culture? Si nous ne pouvons pas la définir ou si ceux et celles qui la définissent le font chacun et chacune à leur manière… un problème se pose.

En passant par une conception de gestion de la culture, par celle de l’industrie culturelle, d’une mission culturo-mystico-comique, ou encore une vision périphérico-régionalistico-frulla-hébertienne…, on nage en plein délire.

Par ailleurs, la-notre-une-culture est en train de mourir et on y assiste passivement. Nous faisons face à une uniformisation culturelle, cela va sans dire mais surtout sans rien faire : «Les carottes sont cuites!» (Dubois). Ce n’est pas, faut-il le préciser, une question limitée au Québec. Nous assistons présentement à un clivage culturel universel (l’universel est à la mode). On prend prétexte de l’impératif économique pour imposer un impératif culturel homogène, occidental et patriarcal.

De concert avec les élucubrations du rapport Arpin, les articles de Jacques Dufresne et de Jean-Claude Leblond ont fait la une de La Presse à l’automne de 1991. Ces articles ont le mérite d’avoir mis les arts visuels sur la sellette. C’est d’ailleurs leur seul mérite. Quand on pense à la remise en question du milieu des arts par Leblond, nous sommes d’accord pour poser un regard critique sur ledit milieu, mais de là à utiliser un discours démagogique, servi à la sauce populiste, afin de discréditer l’art contemporain en bloc…! Par ses propos cinglants, Leblond s’érige en pontife, éclairant du haut de sa chaire le bon public au regard hébété.

Signalons que Jean-Noël Tremblay, celui-là même qui a qualifié la Banque d’œuvres d’art du Conseil des arts d’«admirable dépotoir» et que Jacques Dufresne s’est empressé de citer dans l’un de ses articles, «est payé près de 70 000 $ par année, et pour deux ans au minimum, par le ministère canadien des Communications pour agir en tant que conseiller spécial auprès du maire de Québec» («L’affaire Jean-Noël Tremblay», par Louis-Guy Lemieux, Le Soleil, 31 janvier 1992). Cependant, le bureau mis à sa disposition continue d’accumuler la poussière, car son occupant n’a jamais daigné y mettre les pieds…

Dans le même ordre d’idées, avec son article «Épater la Galerie» parue dans la revue MTL, Geneviève Picard relate sa visite dans les galeries d’art contemporain de Montréal. Elle ne recula devant rien, même le ridicule. Son périple fut si douloureux que d’installation à assemblage hétéroclite, sa consternation et son désarroi s’amplifièrent à un point tel que sa promenade lui sembla un véritable chemin de croix. La peur est grande face à ce que l’on ne connaît pas. Il est tellement facile de ridiculiser les choses que l’on ne comprend pas.

Il n’est pas étonnant que de tels articles aient suscité des réactions. Nous publions le texte de carole Brouillette pour faire suite à la polémique qu’ils ont engendrée. Notre collaboratrice y traite d’une liberté d’expression qui prend, trop souvent, figure de marginalisation et d’exclusion.

Dans un autre ordre d’idées, Jean Patry porte un regard sur le quatrième Festival international de nouvelle danse. Il a vu une vingtaine de spectacles et y a constaté une succession de récits fragmentaires en petites séquences sans liens apparents, ni unité de temps, de lieu ou d’action. Une conception esthétique, en somme, non linéaire, que l’on peut associer à Berg, Satie et Cunningham.

Jean Patry poursuit dans un second article, «Quand la vidéo danse, ne censurez pas», son analyse de la danse par le biais de la vidéo. «En fait, les vidéos nous susurrent à l’oreille que derrière la tranquillité sociale apparente se cache l’inquiétante noirceur du chaos.»

Grâce à l’exposition L’alliance point à la galerie Regart, Jacques Desruisseaux nous introduit dans l’univers de Michel Saint-Onge, où se confrontent la nature et le monde industriel ; un questionnement sur la «création comme mode d’expression essentiel aux valeurs de la vie».

Dans la chronique Commentaires, nous retrouvons la suite de l’article de Luis Neves concernant l’affiche de l’exposition Les années 20 : l’âge des métropoles présentée au Musée des beaux-arts de Montréal à l’été 1991. Luis Neves traite d’esthétique fasciste et de la résurgence de cette idéologie.

Il y a dans l’air comme un rappel des années 30 ; Berlin est de nouveau le centre des affrontements entre l’extrême-droite néo-nazi et l’extrême-gauche. En douce France, Jean-Marie Lepen et son Front national récoltent tout de même 15 % des suffrages aux élections régionales, sans oublier que les fascistes siègent au Parlement européen. En temps de crise (récession) économique, nous constatons la réapparition des mêmes spectres. Il est beaucoup plus facile de pointer l’autre, l’étranger, le marginal, comme responsable de tous nos maux. Au Québec, les groupuscules fascistes ne menacent pas encore la démocratie. Mais ce n’est pas pour cette raison que nous devons les ignorer et leur laisser le champ libre.

Dans le neuvième épisode de la bande-dessinée Cité solitaire de Luis Neves, nous sommes témoins des premières actions terroristes du FLQ et des choix douloureux : devenir «patriote», s’engager dans la lutte armée au nom de la libération nationale… L’indépendance, mais à quel prix?

À la suite de l’application de la nouvelle loi sur la taxe d’affaires (au municipal), Gilles Bissonnette de l’atelier Inter X Section relate les péripéties de cet atelier aux prises avec l’interprétation abusive de cette loi. Les problèmes engendrés par une telle loi menacent l’existence même des ateliers d’artistes. Est-ce de cette façon que l’on entend rendre encore plus dynamique la vie artistique de la métropole? Inter X Section est un cas patent d’atelier ouvert au public qui risque fort d’avoir de plus en plus de difficultés si les décisions actuelles ne sont pas révisées. En marge de cet article, nous publions le bilan financier de l’événement bénéfice Art-Taxe organisé pour venir en aide à l’atelier, bilan fourni à ESSE mais qu’on n’a pas jugé bon d’envoyer avec la lettre de remerciement adressée aux artistes ayant participé à l’événement…

Avec «Matière à musée ou matière abusée», Louis Couturier démontre à quel point il peut être dangereux pour l’artiste de fréquenter de trop près les milieux industriels. Une commandite n‘est jamais innocente ; dans le cas présent, l’auteur souligne l’ambiguïté existant entre l’art, l’industrie et le pouvoir en général. C’est à se demander quand une compagnie commandera des «kits» à Michel Goulet?

À bien y regarder, il semble que nous ayons tout intérêt à suivre les conseils de nos «promoteurs de la culture» et de nous convertir en industrie culturelle. L’artiste serait ainsi appelé à devenir le concepteur d’une belle image pour l’entreprise. Oh ! heureuse époque des Médicis et des Borgia…

Actuellement, l’enjeu est la liberté d’expression dans un pays où l’appareil d’État(s) se fait de plus en plus lord. Car, au rythme où vont les choses, il faudra bientôt montrer patte blanche pour avoir l’immense privilège d’exprimer une opinion (subventionnée). La prétendue réalité de l’économique voudrait bien avoir raison, une fois pour toutes, de l’imaginaire. N’est-ce pas Staline ou un autre de ces illustres personnages qui a dit : «Le poète est un parasite qui traîne dans les rues de la modernité». Soumettre l’expression artistique au bon goût et à la raison d’État, voilà le rêve ultime de tous les politiciens.

Le comité de rédaction

Post-scriptum : Les lecteurs et lectrices remarqueront, à la suite du dossier principal sur le rapport Arpin, un In memoriam signalant le décès de l’un de nos collaborateurs, André Laberge. Les circonstances de cette triste disparition peuvent aussi servir de matière à réflexion. Sur le milieu universitaire et muséal. Sur l’ouverture et la générosité de ses intervenants.

Johanne Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 20 - Suite au rapport Arpin
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