Brookbank-Martens_PEEL
Brandon Brookbank & Kyle Alden Martens Peel, vue d’installation, The Fruit Stand, Halifax, 2015.
Photo : permission des artistes

Jeux queers

Geneviève Flavelle
Qu’est-ce qui nous permet de reconnaitre une personne dans un objet quelconque ? Quels éléments doivent cohérer pour catégoriser une forme comme étant humaine ? Jusqu’où peut-on aller dans l’abstraction, l’allusion ou l’absence flagrante ? Qu’arrive-t-il aux sens exprimés par le corps lorsqu’il est montré de manière anonyme, partielle ou abstraite ? Je propose ici une analyse de deux installations sculpturales collaboratives qui mettent en scène des formes en équilibre ludique entre le connu et l’inconnu, brouillant la notion de genre et élargissant les limites de ce qui définit l’humain. Les artistes ont recadré, segmenté et manipulé l’échelle de corps humains en cherchant à faire ressortir ces points où la sexualité devient méconnaissable et où il est possible d’imaginer le genre sous de nouvelles configurations.

Le genre est l’une des principales caractéristiques par lesquelles nous nous appréhendons et catégorisons les uns les autres en tant qu’êtres humains.La société est largement structurée en fonction de la binarité homme/femme; les expressions de genre qui remettent cette dualité en question sont souvent jugées inconcevables, anormales et potentiellement dangereuses. Comme l’observe l’historien de l’art David Getsy dans Abstract Bodies: Sixties Sculpture in the Expanded Field of Gender, « pour déterminer si un corps (ou une image d’un corps) est celui d’un être humain, la plupart des gens doivent d’abord en déterminer le genre1 1 - David Getsy, Abstract Bodies: Sixties Sculpture in the Expanded Field of Gender, New Haven et Londres, Yale University Press, 2015, p. xiv. [Trad. libre] ». Un corps dont on ne peut cohérer les éléments pour y voir un être humain, notamment si son genre est ambivalent ou indéchiffrable, est fréquemment l’objet d’une violence immédiate. Souvent dirigée contre des personnes queers, trans ou intersexes, cette violence a provoqué une réflexion sur les notions d’humanité et de normalité ; les mouvements LGBTI+ et de défense des droits civils et de la personne en ont fait leur principal cheval de bataille. Pareille stratégie politique préconise une valorisation de la différence dans ses manifestations visibles, dénombrables et pouvant faire l’objet d’une surveillance ; elle prend appui sur un argumentaire qui fait appel à l’empathie et à la compassion. Bien que je comprenne la raison d’être de ces approches humanistes, il me semble tout aussi important d’envisager ce que le travail de création sur l’étrangeté peut apporter. Plutôt que de positionner le non-normatif comme un objet connaissable par la représentation, et donc susceptible d’inclusion, je propose de penser le genre et la sexualité au-delà des catégorisations et de voir s’il n’est pas possible de fonder une appréciation de la qualité de personne sur autre chose que des catégories binaires restrictives comme homme/femme, homosexuel/hétérosexuel ou cis/trans.

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Cet article parait également dans le numéro 91 - LGBT+
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