Crise de la présence en temps de guerre civile

Mirna Abiad-Boyadjian
La globalisation comme processus structurant et homogénéisant du monde a non seulement libéré le capital de l’emprise de l’État, mais aussi la guerre de sa forme étatique, au point où il est devenu difficile d’identifier le terrain des combats. Comme l’avancent Maurizio Lazzarato et Éric Alliez dans la contrehistoire du capitalisme qu’ils proposent avec Guerres et Capital, « la guerre déterritorialisée n’est plus du tout la guerre interétatique, mais une suite ininterrompue de guerres multiples contre les populations1 1 - Éric Alliez et Maurizio Lazzarato, Guerres et Capital, Paris, Éditions Amsterdam, 2016, p. 28.  ». Pour eux, la « guerre civile mondiale » annoncée par Hannah Arendt et Carl Schmitt dans les années 1960 se transforme, avec la financiarisation contemporaine – et l’économie de la dette –, en une imbrication de guerres civiles (guerres de classes, de races, de genres, etc.) dont la matrice est la guerre coloniale2 2 - Ibid., p. 18. Cette perspective sous-tend la correspondance établie par les auteurs entre l’entreprise coloniale de 1492 et l’an 01 du Capital. , soit une guerre dans et contre la population.

Cette perspective d’une expérience incorporée de la guerre nous amène à considérer la guerre moins comme un combat qu’une personne livre volontairement que comme un combat qui se fait au cœur de l’existence – une vie traversée par la guerre. C’est à une guerre de cet ordre que Lazzarato et Alliez font référence lorsqu’ils soulignent que la destruction opérée par l’accumulation du capital depuis la colonisation du Nouveau Monde (et, par effet de retour, de l’Europe3 3 - Ibid., p. 55-56. En citant Michel Foucault et Il faut défendre la société (leçon du 4 février 1976), les auteurs rappellent les effets de retour de la colonisation externe sur les mécanismes du pouvoir en Europe.) porte atteinte « aux conditions matérielles de la vie, mais aussi aux territoires existentiels, aux univers de valeurs, à la cosmologie et aux mythologies qui étaient au fondement de la “vie subjective” des peuples colonisés et des pauvres du monde dit “civilisé”4 4 - Ibid., p. 57-58.  ». Une destruction matérielle et immatérielle, donc, qui conditionne jusqu’à ce jour des captures par le biopouvoir de la vie spirituelle et biologique au profit du maintien de la machine du capitalisme global. Force est de constater que les guerres de subjectivité composent la matrice de la guerre coloniale.

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Cet article parait également dans le numéro 96 - Conflits
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