Mathieu Beauséjour, Horizon perdu

Dominique Sirois-Rouleau
Galerie Antoine Ertaskiran, Montréal
Du 17 janvier au 16 février 2019
Galerie Antoine Ertaskiran, Montréal
Du 17 janvier au 16 février 2019
[In French]

Dans la continuité esthétique de ses recherches précédentes sur le mythe d’Icare, le soleil et les rapports de force économique, politique et philosophique, Mathieu Beauséjour présente à la galerie Antoine Ertaskiran un corpus d’œuvres récentes sur le thème de l’horizon.

La série Horizon perdu représente au graphite sur papier noir une réduction graphique des effets d’optique de l’horizon. Le trait fin et régulier de Beauséjour esquisse ainsi un espace pictural pur inspiré du panorama terrestre. Le labeur minutieux de l’artiste engage une expérience contemplative à la limite de la méditation. Les formes se déploient, se croisent ou se détachent à travers la succession anonyme de traits et de jeux de perspective de façon à créer des étendues énigmatiques. À la limite du monochrome, ces paysages abstraits produisent des modulations de lumière aussi discrètes qu’hypnotiques. Le graphite reluit subtilement sur le fond noir, comme une étincelle étouffée célébrant un angle de vue parfaitement fugace. Observée de près comme de loin, Horizon perdu expose différentes conditions techniques de reproduction de l’espace. Beauséjour traduit alors avec acuité, autant dans les espaces représentationnels que spectatoriels, les distorsions optiques de l’horizon, de la lumière et de la distance.

Insérés dans l’enchainement des dessins, un collage et une sculpture en bronze rompent avec l’uniformité visuelle de la série. L’agencement d’images d’une éclipse illustre sommairement une paire d’yeux alors qu’une longue et délicate échelle de plus de deux mètres s’élève appuyée contre le mur. En ouvrant les considérations spatiales sur les notions d’aveuglement ou d’élévation verticale, ces œuvres réinterprètent la thématique perceptuelle. La perception s’y exprime comme un exercice de mémoire et de positionnement qu’approfondit particulièrement la série de collages Horizons perdus.

Beauséjour assemble des reproductions de paysages du peintre Caspar David Friedrich avec des publicités de bars gais des années 1970-80. Le sublime romantique des toiles du maitre trouve un écho ingénieux dans le vertige amoureux du flirt et de la débauche inspiré par les bars. Le spectacle puissant de la nature s’ouvre, comme la porte d’un bar, sur un champ de possibles nourris par l’espoir de donner un sens à l’existence. Les représentations de ces lieux mythiques partagent en effet une certaine nostalgie empreinte de la patine idéalisée du souvenir et du désir.

Cette candeur fantaisiste s’exprime également dans Abandon II (2018) où la réplique d’un cinéma pornographique matérialise les dérives naïves de la perception. La maquette évoque le souvenir innocent et romancé des lieux desquels sont éludés l’indiscrétion voyeuriste et l’exhibition intimiste. En fait, la salle est vide de sorte que le spectateur devient le seul public du film érotique vintage projeté. Beauséjour troque ainsi la communion pour l’appréciation solitaire semblable à celle exercée par la mémoire.

Horizon perdu se conclut sur Adoration (2016), une imposante impression numérique de jambes d’homme dont le dédoublement de la position en fente donne à voir un svastika. Symbole intemporel et transculturel, le svastika réfère à une infinité d’interprétations toujours motivées par la quête de connaissance des hommes. Avec l’esprit et l’économie de moyens qui distinguent l’ensemble de l’exposition, Beauséjour porte en somme un regard vif sur l’humanité et son rapport physique et affectif à l’éternité.

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