Marie-Michelle Deschamps, Grandeur Nature

Anne-Marie St-Jean Aubre
Articule, Montréal,
Du 13 mai au 12 juin 2011
[In French]

Une échelle vert pâle est entourée d’amoncellements de dessins de feuilles patiemment découpés, libérés de livres de botanique et balayés sur le sol comme sous l’effet du vent. La salle de lecture ressemble à une chambre mansardée : sa fenêtre est recouverte de stores verticaux en papier, ses murs sont tapissés de papier peint vert tendre à motifs fleuris, une chaise, un bureau blanc étroit, une lampe de lecture et une plante verte en occupent la superficie. Des carnets à la couverture de tapisserie s’offrent au regard et à la consultation. Marie-Michelle Deschamps a intitulé cette installation Grandeur Nature, inspirée probablement par les reproductions à l’échelle crayonnées dans les ouvrages de référence qu’elle collectionne. Répertoriant les différentes espèces végétales, ils ont quelque chose de l’herbier, fruit d’un lent travail de collecte et de classification, qui rappelle le labeur de l’artiste qui en a retiré toutes les planches illustrées. 

Divisé ainsi, l’espace met en scène un jeu d’opposition entre intérieur et extérieur, privé et public. La salle principale où les feuilles traînent pêle- mêle sur le sol tient de l’extérieur public, alors que la petite pièce intérieure ouprivée évoque cette « chambre à soi » dont parlait Virginia Woolf, un espace en retrait garant d’une tranquillité qui sied tout à fait à la pratique du dessin de Deschamps. Elle crée des paysages formés par l’alignement patient de mots, réalisés lors de séances dont la fréquence participe du rituel. Les frontières ne sont pourtant pas si étanches entre ces deux zones de la galerie, les feuilles piétinées par les visiteurs envahissant bientôt la chambre, l’échelle de bibliothèque trônant au centre du « champ ». C’est bien plutôt l’espace du livre, celui du langage, qui structure l’ensemble de l’installation, un espace à la fois privé, puisqu’il façonne notre réflexion, et public par son potentiel rassembleur. L’espace lexical en est un de pouvoir. Deschamps a invité Geneva Sills, une amie artiste, à prendre comme point de départ le nom de quatre fleurs sauvages ayant la particularité d’allier à un prénom féminin une caractéristique péjorative – Robin Runaway, Creeping Jenny, Ox-eyed Daisy et Black-eyed Susan –, pour écrire en anglais l’histoire racontée dans les carnets. Francophone, Deschamps avait tout de suite imaginé des portraits en découvrant ces appellations.

En retirant les images des livres, elle les libère en quelque sorte d’une grille contraignante. Ce travail de mise au jour des structures de notre perception nourrissait déjà sa pratique de dessins paysagés, qui visait à rappeler que le paysage est une construction, la résultante de l’organisation d’éléments naturels à l’intérieur d’un cadre selon une hiérarchie précise qui découpe l’espace scénique. À cet égard, on peut d’ailleurs penser que la baie vitrée d’Articule agit ainsi pour le spectateur qui approche l’installation de l’extérieur, transformant Grandeur Nature en un paysage. 

Anne-Marie St-Jean Aubre, Marie-Michelle Deschamps
This article also appears in the issue 73 - Art as transaction
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