Détruire, nous allons

Christian Saint-Pierre
Couronne Nord, terrain de football du Centre sportif Montpetit Longueuil
7 juin 2014
Philippe Boutin Détruire, nous allons, 2014.
Photo : © Godefroy
Philippe Boutin
Détruire, nous allons, 2014.
Photo : © Annie Éthier
Comment ne pas s’enthousiasmer quand le théâtre nous entraine hors des sentiers battus, quand la représentation se déploie hors les murs, quand le spectacle se donne à voir, à entendre et à vivre en plein air et de surcroit au soleil couchant ? Avec Détruire, nous allons, le jeune metteur en scène Philippe Boutin nous donne rendez-vous sur... un terrain de football. Alors que les spectateurs sont entassés dans les estrades, 42 comédiens et danseurs prennent pleinement possession de la vaste étendue de pelouse synthétique. Vous avez dit inusité ?

Créé en 2013, à Sainte-Thérèse, à l’occasion du OFFTA, le spectacle était repris en juin dernier, un soir seulement, cette fois à Longueuil. Assisté de Dave St-Pierre aux chorégraphies et d’Étienne Lepage à la dramaturgie, Boutin a donné naissance à un objet formellement et esthétiquement réjouissant, un théâtre épique, romantique, majestueux, mais aussi grotesque, rageur et désillusionné.

La soirée est une sorte de Shakespeare-in-the-Park sur le speed, une expérience indéniablement sportive, mue par d’irrépressibles instincts. Souvent irrévérencieux, le spectacle est aussi, par moments, il faut bien le dire, un peu conventionnel. Le plus convaincant, en fait, ce sont les chorégraphies du chœur : les déplacements de la masse, les mouvements de la foule, la force du nombre, les empoignades et les étreintes. À vrai dire, ces corps dans l’espace, ces corps qui courent, qui marchent, qui s’approchent ou qui s’éloignent, ils sont amplement suffisants.

Dans leurs noirs habits soignés, sous l’éclairage des lampes au sodium, d’un bout à l’autre du territoire, terrain de jeu et champ de bataille, les corps des interprètes suffisent à établir les grandes lignes du récit, à exprimer les antagonismes et les alliances, à traduire le désir et la vengeance, à communiquer le courage et la couardise. Or, étrangement, le metteur en scène accorde une place majeure au texte dans son spectacle. En puisant notamment chez Shakespeare, Rostand et Gauvreau, en entrelaçant, pas toujours adroitement, histoire et contemporanéité, tragique et trivial, classicisme et culture populaire, l’œuvre donne à voir et à entendre les destins de Claude (Christophe Payeur) et Christian (Emmanuel Schwartz, brillant, une fois de plus), deux frères épris d’une même femme, Félicité (Marie-France Marcotte, un brin caricaturale). Ajoutons que Jean-François Casabonne est très convaincant, parfois même terrifiant dans les habits d’un tavernier fortement inspiré de Richard III.

S’il évoque Vie et mort du roi boiteux, la fresque de Ronfard, ou encore Caligula_remix, la relecture de la pièce de Camus par Marc Beaupré, le spectacle de Boutin est loin de présenter la même maitrise, le même équilibre délicat, le même arrimage entre les mots et les actions. Les tirades, aussi belles soient-elles, finissent par lasser, voire par distraire du singulier, de l’essentiel.

En somme, s’il n’est pas parfait, le premier spectacle de Philippe Boutin n’en est pas moins remarquable. Le créateur est doté d’un courage indéniable, d’une audace en voie de disparition. Pour ça, c’est certain, nous serons de la prochaine de ses aventures hors des sentiers battus.


Christian Saint-Pierre, Philippe Boutin
This article also appears in the issue 82 - Spectacle
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