[In French]

En ces temps troublés et cyniques, il peut sembler illusoire ou naïf de croire que l’on peut travailler à
construire un monde plus égalitaire et plus juste par une participation active à des mouvements sociaux ou par l’action politique. Pourtant plusieurs de nos concitoyennes et concitoyens préfèrent une saine colère à l’immobilisme et à l’impuissance qui découlent du cynisme. C’est ainsi que des milliers de Québécoises et de Québécois s’engagent dans des mouvements sociaux, dans des initiatives culturelles, dans l’action politique.

Pourquoi? Parce que nous ne supportons plus les images de guerres, de famines prévisibles, d’inégalités criantes et de plus en plus visibles, de forêts dévastées, de cours d’eau pollués, partout à travers le monde. Parce que nous ressentons la fragilité de ce monde «fini», comme le disait Albert Jacquard. Parce que, sans avoir toutes les solutions, nous pouvons certainement faire mieux. En nous basant sur la recherche du bien commun.

Bien commun recherché

Le philosophe français Jean-Paul Jouary écrivait dans la revue Virtualités (avril-mai 1997) : «Le bien commun le plus précieux c’est le fait d’agir en commun pour dépasser ensemble ce qui fait obstacle au progrès de tous et à l’épanouissement de chacun.» Cette affirmation intéressante se refuse à opposer la recherche du bonheur individuel à l’instauration de la justice sociale. Comment, en effet, atteindre l’épanouissement du potentiel de chacun et chacune sans le soutien des autres, sans la solidarité et la générosité des autres?

Mais il nous faut aller plus avant : qu’est-ce qui, au Québec et dans le monde, «fait obstacle au progrès de tous et à l’épanouissement de chacun»? Commençons par lire Jean Ziegler, dans Les nouveaux maîtres du monde (Paris, Fayard, 2002, p. 13 et 15) :

«Chaque jour, sur la planète, environ 100 000 personnes meurent de faim ou des suites immédiates de la faim. […] Plus de 2 milliards d’êtres humains vivent dans ce que le programme des Nations Unies pour le développement appelle la misère absolue, sans revenu fixe, sans travail régulier, sans logement adéquat, sans soins médicaux, sans nourriture suffisante, sans accès à l’eau propre, sans école.»

N’est-il pas évident que ce désastre humain empêche des milliards d’individus sur cette terre de développer leur potentiel? On devrait souligner par ailleurs que les femmes sont les premières victimes des guerres, de la montée des droites conservatrices et religieuses, de traditions discriminatoires.

Même ici, au Québec, province riche d’un pays riche, combien de temps accepterons-nous que des milliers d’enfants aient faim et que leurs
parents s’arrachent les cheveux devant les comptes impayés? Ne faut-il pas s’indigner lorsque le gouvernement Charest accorde seulement une demi-indexation de leurs prestations aux personnes assistées sociales? Comment comprendre que le ministère de l’Éducation veuille couper les subventions au programme de formation musicale de l’école Joseph-François Perreault, une école secondaire de milieu défavorisé à Montréal?

Rechercher le bien commun requiert donc, pour commencer, de développer notre capacité d’indignation devant des injustices criantes. En 1948, la plupart des gouvernements de la planète signaient la Déclaration universelle des droits de l’homme, où l’on trouve la phrase suivante : «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits et en dignité.» Quelle belle phrase… Si seulement c’était vrai! Une enquête récente nous apprend, si on en doutait, qu’un enfant né à Saint-Henri, un quartier défavorisé de Montréal, mourra 10 ans avant un enfant né à Westmount, l’une des villes les plus riches du Québec. Nous savons aussi que les mères monoparentales se retrouvent souvent isolées et pauvres. Et que beaucoup de jeunes immigrants ou de minorités visibles sont en butte au chômage et à la discrimination à l’embauche.

Rechercher le bien commun exige aussi que nous réfléchissions sérieusement à l’avenir de notre planète. L’eau devient l’enjeu de conflits frontaliers; l’air est tellement pollué dans certaines mégapoles du monde que les citadins et citadines tombent malades par milliers; des forêts entières sont dévastées, entraînant des problèmes majeurs au niveau des sols… Il est temps de s’inquiéter. Un principe devrait nous guider : prendre aujourd’hui des décisions aux conséquences positives pour les générations futures. Ce n’est pas toujours facile, les intérêts immédiats s’opposant parfois à une vision à long terme. Dans une région à haut taux de chômage, il faudra peut-être renoncer à des emplois alléchants à court terme dans une usine hyper polluante pour imaginer et construire un développement viable à moyen et long terme.

Il faut se donner le droit de rêver, le droit d’imaginer un autre Québec possible. Nous ne pouvons nous contenter d’assister au massacre en le déplorant. Nous réfugier dans nos terres n’est pas très productif. D’autant que la réalité nous rejoindra bien vite. Gilles Vigneault disait : «Si tu ne t’occupes pas de la politique, elle va s’occuper de toi, de toute façon!» Mais où commence le changement?

Entre les deux oreilles!

Le changement commence par une nouvelle façon de voir le monde. Par le développement d’un esprit critique et constructif. Par la recherche d’alternatives à la société individualiste et mercantile qui nous est proposée par les détenteurs des pouvoirs économiques et politiques.

Il faut d’abord redéfinir le développement. Les écologistes nous montrent la voie dans ce domaine en nous amenant à repenser complètement les rapports entre les humains et la nature, mettant en lumière notre totale interdépendance et donc la nécessité impérieuse de prendre soin de notre terre. Cette conception du développement amène à repenser radicalement l’économie et à la mettre au service des personnes tout en observant un plus grand respect de la nature. Plus encore, le développement doit avoir comme première fonction de répondre aux besoins essentiels des milliards d’êtres humains sur la planète qui n’ont pas le nécessaire pour vivre décemment.

Par ailleurs, les centaines de gadgets que l’on nous propose d’acheter avec insistance comme si notre bonheur en dépendait contribuent au gaspillage des ressources naturelles et énergétiques. Ce constat en amène plusieurs à se demander si nous ne devrions pas désormais parler de décroissance ou, du moins, ralentir sérieusement ce que nous appelons croissance, le plus souvent synonyme de profits pour une minorité.

D’autres questions méritent que nous nous y attachions. Par exemple, la vision de plus en plus individualiste du système de santé ou d’éducation. Voulons-nous encore que tous nos enfants aient accès à une éducation de qualité, à un véritable soutien s’ils éprouvent des difficultés? Voulons-nous que les services de santé soient dispensés dans un système public où, théoriquement, chaque personne a accès aux mêmes soins? Voulons-nous prendre soin de toutes nos personnes âgées ou handicapées? Croyons-nous vraiment à l’égalité entre les hommes et les femmes, et donc, à l’équité salariale? Si la réponse est oui, nous devons agir de façon responsable. Par exemple : cesser de clamer que nous sommes les plus taxés en Amérique du nord en oubliant que nous sommes les seuls à bénéficier de services de garde à 7 $ par jour; réclamer que les services publics demeurent publics et non qu’ils soient privatisés en douce; nous engager dans nos milieux de travail et nos communautés à rendre la vie meilleure pour tout le monde.

Le changement vers une société solidaire et plus juste passe par des choix sociaux, culturels, économiques et, bien sûr, politiques. Ricardo Petrella nous dit dans son dernier livre que nous avons «le droit de rêver», nous avons aussi le devoir de proposer. Si on s’y mettait?

Françoise David
This article also appears in the issue 55 - Dérives II
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