Trois photographes montréalais+

Michel Hardy-Vallée
Galerie McClure du Centre des arts visuels, Montréal
du 7 au 29 mai 2021
Trois photographes montréalais +, vue d'exposition, 2021.
Photo : Donigan Cumming
Galerie McClure du Centre des arts visuels, Montréal
du 7 au 29 mai 2021
[In French]

En 1969, la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) faisait circuler l’exposition itinérante Quatre photographes montréalais : les œuvres de Marc-André Gagné, Ronald Labelle, John Max et Michel Saint-Jean répliquaient à l’idéal documentaire par une approche expressionniste et plastique inspirée de l’avant-garde européenne de l’entre-deux-guerres. Cinquante ans plus tard, le collectionneur, commissaire et critique Robert Graham fait un retour sur le point de vue montréalais en photographie en rassemblant des œuvres de Tom Gibson, Donigan Cumming et Michel Campeau datant des années 1970 à nos jours. Ceux-ci sont respectivement mis en dialogue (le « + ») avec Eadweard Muybridge, Miroslav Tichý et Martin Parr. L’exposition fait voir le travail de déconstruction du regard photographique inspiré des sciences sociales qui caractérise les trois Montréalais, mais interroge également la constitution du savoir historique.   

Plutôt que d’adopter une organisation qui situe chaque image dans un temps et un espace précis, Graham regroupe les œuvres par artiste selon une logique séquentielle : cette image-ci mène à celle-là par son thème ou par les nombreuses connexions souterraines qui découlent de la proximité des photographes. L’exposition s’ouvre avec Gibson, qui nous a quittés en juin 2021. Sa position souligne son rôle de mentor pour les deux autres, ainsi que pour la communauté dans la fondation du programme de photographie à l’Université Concordia. Cette position indique également la proximité apparente de sa pratique avec la tradition du documentaire social. L’observateur inattentif ou l’observatrice inattentive y verra de la photographie de rue prise à une distance respectueuse : des gens, des monuments, des espaces verts. Mais rien, ou presque, ne s’y passe : ce sont des configurations -d’objets et de corps au sein de l’espace urbain, plutôt que des instants décisifs. Elles ouvrent la voie à l’idée de la photographie comme scène – idée qui rappelle celles du sociologue Erving Goffman et qui est mise en évidence par les séries de « locomotion animale » de Muybridge : des mouvements de sujets dans un décor artificiel et quadrillé ; un théâtre métrologique. La contrepartie de la distance critique de Gibson se retrouve dans l’approche de Donigan Cumming, aussi fracassante que son flash. Les images qui l’ont fait connaitre et qu’il a publiées dans The Stage attaquent simultanément les canons de la beauté et ceux de la lisibilité de l’image documentaire. Résultant de rapports négociés explicitement et contractuellement avec ses sujets, ces intérieurs envahis par la lumière, déformés par l’objectif, sont peuplés de livreurs de bière, de prothèses amovibles ou de réfrigérateurs savamment désordonnés, mais laissant voir une tendresse et une légèreté certaines. Les nus de Nettie Harris, pris au crépuscule d’une longue vie, forment un point d’équilibre au milieu de l’exposition : ces images plus contemplatives regroupées en cercle ralentissent le rythme de la séquence globale. Une planche contact agrandie nous laisse entrevoir le travail préparatoire du photographe, alors que les œuvres sur papier de Cumming, plus récentes, suggèrent un processus de réception, de retour sur les images plus iconiques. L’œuvre achevée et close est ainsi mise en dialogue avec les pratiques qui la remettent sur le chemin des possibles.

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This article also appears in the issue 104 - Collectives
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