Les textes proposés (de 1 500 à 2 000 mots maximum) peuvent être envoyés en format lettre US (DOCX ou RTF) à redaction@esse.ca. Veuillez inclure, à même le texte, une courte notice biographique (35 mots), un résumé du texte, ainsi que votre adresse courriel et postale.

Les personnes qui aimeraient d’abord soumettre un résumé d’intention (250-500 mots) sont invitées à le faire au moins 3 mois avant la date de tombée. Les propositions non afférentes aux dossiers (critiques, essais et analyses sur différents sujets en art actuel) sont aussi les bienvenues. Un accusé de réception sera envoyé dans les 7 jours suivant la date de tombée. Si vous ne l’avez pas reçu, nous vous invitons à communiquer avec nous pour vérifier la réception de votre texte.

No. 112 : Rêves
Date de tombée : 1er avril 2024

Dans nos rêves, nous faisons face à nos désirs et à nos peurs les plus profonds. Pour beaucoup, cela permet d’assimiler ce qui s’est passé dans la journée, de résoudre un problème ou de découvrir son vrai soi. C’est ce que l’on peut appeler la manière scientifique ou naturelle de comprendre la fonction des rêves. Selon Sigmund Freud et Carl Jung, qui pratiquaient l’interprétation des rêves, nos visions nocturnes seraient respectivement un assouvissement des désirs ou une expression symbolique. Mais l’interprétation nuit-elle à la capacité des rêves à influencer notre vie ? C’est la question que posent le musicologue Phil Ford et l’auteur J. F. Martel dans un épisode du balado Weird Studies intitulé « On James Hillman’s The Dream and the Underworld ». Plutôt que de diminuer ou d’expliquer les rêves par l’interprétation, Ford et Martel insistent sur le fait que ces visions font partie de la réalité, qu’il ne s’agit pas de simples métaphores ou du déversement d’un excès d’informations par le cerveau, et que nous vivons dans nos rêves tout comme dans notre vie éveillée.

Le pouvoir des rêves réside avant tout dans le grand mystère de leur existence. Bien que rêver ne soit pas unique aux êtres humains – en étudiant l’activité cérébrale de rats endormis, des chercheurs et chercheuses du MIT ont montré que les animaux ont des rêves complexes –, en tant qu’espèce, nous sommes obsédés par les rêves : nous les analysons, les archivons et les représentons. Les œuvres qui portent sur les rêves ou qui utilisent la logique du rêve semblent accessibles au plus grand nombre, car il s’agit d’une expérience universelle. La constante popularité du surréalisme est directement liée à notre fascination pour l’étrange, le bizarre ou ce que nous pourrions appeler aujourd’hui les anomalies dans la matrice.

Curieusement, ces moments peuvent se produire aussi bien dans la vie éveillée que pendant le sommeil, ainsi que dans cet espace liminaire indescriptible entre le conscient et l’inconscient. L’artiste et cinéaste Apichatpong Weerasethakul est passé maitre dans l’art de brouiller cette frontière. Selon lui, l’art, comme les rêves, nous donne accès à de nouveaux mondes, et il encourage même son public à dormir pendant les projections. Certaines des œuvres d’art contemporain les plus marquantes sont celles qui intègrent le langage des rêves et des cauchemars dans la réalité, par exemple les films du réalisateur David Lynch. Mais tout comme la réalité peut ressembler à un cauchemar – c’est souvent le cas avec l’aggravation de la crise écologique, la montée des mouvements politiques fascistes dans le monde et le développement rapide des technologies de l’intelligence artificielle –, les rêves représentent pour beaucoup un espoir. Ils nous renvoient à des horizons utopiques de mondes futurs et évoquent cette capacité d’imaginer autrement qui caractérise les pratiques artistiques et politiques.

Dans le livre Decolonial Dreams: Unsettling the Academy through Namewak, l’anthropologue métisse Zoe Todd parle de l’esturgeon jaune du nord de l’Alberta, désigné espèce menacée, et de l’état des populations de poissons des Prairies en général, dévastées par le colonialisme et la destruction de l’environnement qui s’en est suivie. Le rêve décolonial de Todd est de « bâtir quelque chose de plus responsable, quelque chose de réciproque et d’aimant à la place des structures et des récits qui existent actuellement » [trad. libre]. Réfléchir et travailler collectivement est la clé de sa vision de l’avenir. Un rêve d’une telle ampleur ne peut se réaliser que si nous le rêvons dans la réalité ensemble. C’est aussi pourquoi l’artiste féministe Susan Hiller nous rappelle qu’il ne faut pas reléguer nos rêves au domaine privé. Dans Dream Mapping (1974), Hiller présente le rêve comme une expérience collective qui apporte de nouvelles perspectives sur des questions internes personnelles. En tant qu’insomniaques et consommateurs et consommatrices de substances nocives notoires, les artistes feraient bien de prendre en considération la nature réparatrice du sommeil et des rêves (le thème des drogues occupe d’ailleurs une grande partie de la discussion entre Ford et Martel sur les rêves en raison de leurs recoupements, notamment sur le plan spirituel et transcendantal). Étant donné les liens historiques entre le rôle de l’artiste et l’expression des visions, de l’imagination et de la fantaisie, ce numéro thématique cherche à mettre en lumière les capacités particulières des rêves. Esse arts + opinions invite les auteurs et autrices à proposer des textes sur le thème des rêves tel qu’il est abordé dans les arts aujourd’hui. Quelles sont les tactiques utilisées par ceux et celles qui souhaitent faire entrer le monde des rêves dans le monde éveillé, et quels sont les résultats de leurs initiatives ? En quoi le sommeil et les rêves peuvent-ils nuire au capitalisme ? Inversement, comment « le Rêve » est-il récupéré par les patronnes et patrons pour pousser le personnel à faire progresser le capitalisme ? Comment les rêves rapprochent-ils ou distinguent-ils les êtres humains des animaux ou de l’intelligence artificielle ?

No. 113 : Plastiques
Date de tombée : 1er septembre 2024

Le plastique, dont l’invention remonte au 19e siècle, fait uniquement partie intégrante de notre vie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, les possibilités qu’offre ce nouveau matériau explosent dans tous les marchés et les consommateurs et consommatrices en demandent toujours plus. On imagine même des maisons entières faites de plastique : en 1956, les architectes Alison et Peter Smithson présentent « la maison de l’avenir » à la Daily Mail Ideal Home Exhibition, à Londres. Compte tenu de la rapidité et de la voracité avec lesquelles le plastique s’empare des imaginaires, on peut se demander si notre but n’était pas de fusionner l’humanité avec cette invention à la fois durable et malléable. Aujourd’hui, nos corps sont chargés de plastique : des chercheurs et chercheuses ont récemment découvert des particules de microplastique dans le sang humain. Nous consommons le plastique. Nous en achetons et en utilisons, mais nous en buvons et en mangeons également. La prolifération du plastique dans les environnements terrestres et marins modifie l’écologie de la planète et altère la biochimie des organismes vivants – nous nous transformons littéralement en plastique.

Le mot « plastique » est lié au concept élastique de la plasticité, terme dont le sens a varié au cours de la dernière décennie, selon qu’il est employé dans le domaine de la philosophie féministe des sciences, des nouveaux matérialismes ou des études queers et trans. Dérivée du grec plassein, qui signifie à la fois « donner » et « recevoir » une forme, la plasticité caractérise la malléabilité des systèmes vivants. Les théoricien·nes féministes et queers vantent sa promesse intrinsèque : la déstabilisation des formes figées ou essentielles dans les registres du genre, du sexe et de la neurobiologie. De la chirurgie plastique d’affirmation de genre à la mutabilité du genre, la plasticité, voire le plastique, est indéniablement queer.

Même si la malléabilité du plastique indique une variation des processus et des formes, la production industrielle de ce matériau est devenue un marqueur géologique permanent de l’anthropocène. Le plastique étant produit à une échelle plus grande que tout autre matériau en raison de sa résistance intrinsèque et de son utilité, les géologues se basent sur les particules de polymère pour localiser le début d’une nouvelle époque géologique – celle du plastique ou « plasticocène ». Les chaines carbonées qui composent le plastique le rendent extrêmement durable – un de ses principaux attraits, mais aussi un grave défaut. En effet, nous vivons avec plus de déchets de plastique que ce que la planète peut supporter, et nous continuons de produire ce matériau à une vitesse telle que nous n’avons pas le temps de le recycler et de le réutiliser. En 2008, dans l’éditorial du numéro 64 (Déchets), la rédactrice en chef parle de l’inquiétude face à cette crise. Elle explique que les artistes et les auteurs et autrices de ce numéro perçoivent le déchet comme « un objet riche (ou lourd) de sens, possédant un important bagage culturel et historique, le potentiel de susciter la réflexion et le pouvoir d’être transformé en œuvre d’art ». Les artistes travaillent avec des matériaux recyclés et réfléchissent au recyclage depuis les premières sociétés humaines. Même si leurs efforts sont inspirants et mènent parfois à de nouvelles percées dans la création artistique, il est difficile de ne pas s’abandonner au défaitisme. Pendant que les entreprises échappent à la surveillance gouvernementale et contournent les règlements, ce sont les consommateurs et les consommatrices qui portent le poids de la responsabilité.

Les possibilités qu’offre le plastique sont infinies. C’est peut-être pour cela qu’il a été proclamé matériau du futur lorsque les Smithson ont présenté leur maison-spectacle. Or, cette maison était une simulation. Elle nous rappelle que le mot « plastique » est rapidement devenu synonyme de superficiel et artificiel. Pour beaucoup de gens, le plastique représente un idéal inatteignable : la beauté éternelle, l’immortalité, l’existence douce et brillante d’une bimbo. Cette préoccupation se reflète notamment dans la série d’autoportraits de l’artiste contemporaine Cindy Sherman, série issue d’une expérimentation récente des filtres Instagram. Par ailleurs, il va sans dire que la chirurgie plastique offre des possibilités incroyables. Un accès sûr à la chirurgie d’affirmation de genre est crucial, mais les modifications corporelles devraient aussi être accessibles. Pensons par exemple à l’artiste « charnelle » Orlan ou à la musicienne et artiste de la performance Genesis P-Orridge et sa partenaire, Lady Jaye Breyer P-Orridge.

Pour le numéro 113, Esse arts + opinions invite les auteurs et autrices à considérer le sujet étendu du plastique et à soumettre des textes qui l’envisagent en tant que matériau, vision du monde, philosophie de vie ou pratique artistique. De quelle façon les artistes repensent-ils et elles leurs pratiques autour du plastique ? Comment interviennent-ils et elles dans un monde plastifié ? Y a-t-il du charme dans les déchets ? Que peut nous enseigner le plastique ? Qu’avons-nous appris de lui jusqu’à présent ? Sommes-nous lié·es à lui au point de ne plus pouvoir nous imaginer la vie sans lui ? Notre propre plasticité peut-elle nous aider à nous sortir de la crise actuelle ?