Du 6 mars au 10 avril 2021
Inspirée du phénomène controversé de synchronisation hormonale, l’installation Phénomène du dortoir, présentée chez Skol par Isabelle Guimond et Carolyne Scenna conserve, de l’effet McClintock, la notion de concordance. Les artistes ont ainsi harmonisé leurs démarches créatives autour de ce projet rassemblant dessin, peinture, sculpture, son et vidéo en une installation in situ ludique. Telle un autel à l’énergie de l’adolescence, l’installation emprunte les matières et l’iconographie hétéroclites du DIY. L’échange des artistes se matérialise alors non seulement dans les formes, mais aussi durant l’exposition où elles prolongent la discussion au fil de leurs interventions ponctuelles.
Trônant au centre de l’espace, un immense socle sert une mise en scène d’objets trouvés et de sculptures dont un masque, des mains miniatures et une intrigante série de citrouilles en céramique. Les cucurbitacées noires et blanches arborent une pléiade de représentations forts diversifiées dont quelques extraits de textes évoquant autant la poésie symboliste, la musique pop que les graffitis du bar Les Foufounes Électriques. Dans cet esprit, les dessins de fleurs, de chats et autres motifs tribaux ou ironiques allient sans discordance les univers picturaux du dessin beaux-arts à ceux plus fantaisistes du griffonnage distrait ou du tatouage maison à la corde de guitare. Cet humour moqueur et grinçant que partagent Guimond et Scenna s’exprime avec brio dans l’actualisation malicieuse du memento mori classique. Le fruit périssable trouve, dans la matière anoblissante, une pérennité que lui désavouent avec espièglerie ses apparats graphiques fixés, pour leur part, à l’évanescence des modes et des courants esthétiques.
Ce mélange des genres et des temporalités résume habilement les procédures issues de la rencontre plastique des artistes dont les toiles exaltent la dimension romantique. La rigueur formelle du noir et blanc s’y assoupli, intègre le gris et quelques délavés pastel de sorte que les représentations arborent une certaine nostalgie. Parfois aux limites de l’abstraction, les toiles reprennent les explorations formelles de fleurs, d’émoticône, de déchets et des autres ornements aussi affichés sur les citrouilles. L’amalgame de cette exploration délicate du trash aux quelques interventions flirtant avec le monochrome incite à une mise en parallèle cocasse de l’adolescence contemporaine à la résistance subversive des avant-gardes historiques.
Le jeu d’addition et de bricolage de Guimond et Scenna permet un foisonnement de conjonctions étonnantes que concrétise leur manipulation de l’espace de la galerie. Deux immenses toiles tendues circonscrivent dans la salle un envers du décor à Phénomène du dortoir. L’une, recouverte de pigment noir balayé, fait mur et l’autre sert d’écran à la projection de dessins et photos numériques composant entre autres le fanzine qui accompagne l’exposition. L’espace énigmatique ainsi déterminé par les surfaces plastiques encadre deux enceintes lourdement enchainées au sol et, au mur, une affiche de Freddy Krueger, figure fictive incontournable du cinéma d’horreur. Le tueur en série vengeur œuvre depuis les rêves et personnifie en ce sens la dénaturation des perceptions et des affects à laquelle les manœuvres de mise en scène sonore et picturale des artistes n’est pas étrangère. Regroupés et protégés par du ruban adhésif blanc, les fils tirés depuis les enceintes s’apparentent dans cet esprit à un long cordon ombilical s’échappant de l’espace clos et serpentant le sol jusqu’à la cymbale d’une batterie dysfonctionnelle. L’instrument entièrement recouvert de papier noir semble ainsi, à l’instar du lutrin sans partition qui lui fait face, autant en attente de son émancipation que d’une cause à sa rébellion.
Le lustre nubile de la mélancolie recouvre à ce titre l’ensemble du parcours onirique et transgressif de l’installation. Phénomène du dortoir conjugue la passion extensive de la puberté à une exploration pince-sans-rire de la disgrâce des formes. Si bien que sous cette touche affranchie des artistes, la déliquescence devient une fête.