Cooke-Sasseville, Silence on coule, C’est arrivé près de chez vous. L'art actuel à Québec, MNBAQ, 2008. photos : Patrick Altman, Musée national des beaux-arts du Québec
Dans l’installation Silence on coule (2005)1 1  - L’installation a été présentée pour la première fois dans le cadre de l’exposition collective Débraye : voitures à controverse au Quartier Éphémère de la Fonderie Darling, à Montréal, du 22 juillet au 22 septembre 2005. Une seconde version de l’œuvre a été présentée dans le cadre de l’exposition C’est arrivé près de chez vous. L’art actuel à Québec au Musée national des beaux-arts du Québec, du 4 décembre 2008 au 12 avril 2009., le duo Cooke-Sasseville suggère une brutale assimilation de la sexualité à l’univers de l’automobile. Au centre d’une pièce peinte en noir trône un curieux bassin monté sur un socle et protégé par une enceinte transparente. Y prend place une série de vulves et de phallus dorés d’où gicle un liquide rappelant le pétrole, cet or noir dont l’exploitation est fortement disputée. Une suite ­d’adjectifs se rapportant à la voiture, ou à son propriétaire, se donne à lire en ­lettres dorées sur la paroi de la pièce : performant, arrogante, précieuse, ­puissante, ambitieuse, vigoureuse...

Le duo Cooke-Sasseville intègre à l’installation des références au sacré par un dispositif suggérant un autel et par l’emploi de dorures remontant à la tradition des icônes, dans laquelle elles symbolisaient la lumière et, par conséquent, la puissance divine. Or, dans Silence on coule, ces conventions religieuses sont plutôt mises au service du culte de l’automobile. À tout le moins, c’est ce rapport culturel à l’automobile que les artistes mettent parodiquement en relief, un fétichisme dont il n’est plus nouveau aujourd’hui de dire qu’il traduit l’expression d’une sexualité virile et machiste. Ainsi, les artistes abordent ironiquement la culture populaire et le monde de la marchandise qui, suivant Barthes et Baudrillard, relèvent aussi d’une économie des signes. 

Cooke-Sasseville, Silence on coule, C’est arrivé près de chez vous. L’art actuel à Québec, MNBAQ, 2008.
photos : Patrick Altman, Musée national des beaux-arts du Québec

Le phénomène bling-bling, que l’actualité a mis à l’avant-plan dans la culture populaire, participerait de ce même régime des signes où il est possible d’affirmer une domination sur l’autre par la consommation et la possession, ce qui renferme une forme de machisme. Jeu de surface insistant sur l’exhibition d’accessoires luxueux et brillants, le bling-bling cultive la prétention à l’ascension sociale et fait la preuve par ostentation d’un certain arrivisme. Mode de vie empreint de clinquant, il se manifeste également dans le monde de l’art où la richesse et le luxe sont à peine moins étalés, pour le plus grand bénéfice du marché de l’art, qui carbure à la spéculation financière. Il faut dire aussi que les médias de masse sont particulièrement friands de détails sur les prix de vente mirobolants d’œuvres convoitées. Ces médias n’en ont que pour l’art somptuaire.

Dans sa plus récente exposition, le duo Cooke-Sasseville aborde de front la marchandisation de l’art et son inscription dans le ­phénomène bling-bling2 2 -  L’exposition Le petit gâteau d’or s’est tenue du 6 mars au 24 avril 2010 à la Galerie Art Mûr de Montréal.. L’installation Le petit gâteau d’or (2010) invite le ­spectateur à marcher sur un tapis rouge le long duquel il peut regarder une enfilade de sérigraphies montrant un lingot d’or grignoté peu à peu, à la manière d’un sablé au beurre. La chose prend la forme d’un petit gâteau doré précieusement logé dans une vitrine apparemment blindée. Quelque 117 grammes d’or 18 carats constituent ce chic dessert que des ­diamants, émeraudes, grenats rhodolites, rubis, topazes, améthystes et saphirs décorent joliment. Le tout brille sans vouloir leurrer ; les précieux ­minéraux sont des plus vrais, révélant un jusqu’au-boutisme qui ne peut que faire sourciller.

L’installation, grâce au tapis rouge, et aussi parce que lors du ­vernissage de l’exposition le duo de Québec a exigé des participants qu’ils portent une tenue de ville, suggère un recoupement entre ­mondanité et création, entre le monde du vedettariat et celui de l’art. L’art ne serait plus cet espace refuge, idéalisé par les avant-gardes, qui permettait ­d’occuper une position extérieure au capitalisme. Il en serait au contraire une des voies de prédilection ; il expose froidement que les possibilités de ­retranchement de l’économie générale s’avèrent réduites, voire ­inexistantes. Comme l’indique le titre des sérigraphies, Valeur refuge (2010), l’or et l’art sont des valeurs sûres quand les marchés financiers viennent à s’effondrer. L’allusion est d’autant plus juste que Le petit gâteau d’or arrive à la suite d’œuvres popularisées ces dernières années pour avoir été composées avec des matières de très grande valeur et dont les auteurs incarnent parfaitement eux-mêmes la figure du ­spéculateur.

Cooke-Sasseville, Le petit gâteau d’or, 2010.
photo : Étienne Boucher

La démonstration faite par Cooke-Sasseville offre l’occasion de rappeler les Merdes d’artistes (1961) de Piero Manzoni, qui a ­désacralisé le processus de création en l’assimilant au fonctionnement du ­système digestif et à la très commune et triviale capacité des humains à ­déféquer. En décrétant que chacune des 90 boîtes de conserve contenant 30 grammes d’excréments devait être vendue au prix du cours de l’or, Manzoni visait les mécanismes parfois obscurs qui président à la fixation de la valeur des œuvres d’art. Une telle transsubstantiation parodiait aussi le fétichisme de la personne de l’artiste voulant que la moindre chose provenant de lui soit transformée en art et soumise à la spéculation. 

Il est difficile de ne pas voir une allusion scatologique dans le projet de Cooke-Sasseville ; le crémage du petit gâteau pourrait en effet se confondre avec l’enroulement concentrique de la matière fécale. La ­progression dans l’espace de l’exposition suggère aussi fortement que le lingot d’or a été ingéré, consommé, puis déféqué. La cuisine de l’art, par ailleurs, se pratique avec tous les matériaux, les plus ­somptueux comme les plus vulgaires, semblent indiquer les artistes. Il suffit d’en faire la transformation et de compter sur le marché pour en exalter la valeur. À la différence toutefois de Manzoni, qui renvoyait à ­l’industrialisation par la répétition standardisée sous forme de boîte de conserve, Cooke‑Sasseville insiste sur le caractère unique et singulier du gâteau, qui réfère ainsi à la sphère inaccessible des produits de luxe. Le petit gâteau, le ­cupcake comme l’annoncent les boutiques sophistiquées qui l’ont remis au goût du jour, n’est-il pas aussi le nec plus ultra de la ­friandise sucrée3 3 - À cet égard, les artistes disent répondre à l’engouement pour le petit gâteau stimulé par les personnages du film Sex and the City. ?

C’est pour cette raison que Le petit gâteau d’or de Cooke-Sasseville n’est pas kitsch, mais qu’il commente de manière critique le phénomène bling-bling. Et il le fait dans un renversement stratégique très postmoderniste : en employant les moyens qui sont propres au bling-bling, à savoir les matériaux précieux et la grandiloquence du tapis rouge, et en préférant rester, avec une complaisance caricaturale, dans le système de l’art, en l’occurrence en tenant cette exposition dans une galerie d’art marchande.

Cooke-Sasseville, Marie-Ève Charron
Cet article parait également dans le numéro 69 - bling-bling
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